19 février 2012

L'Alaska et l'environnement

Ça fait un moment que je vous devais cet article. Le voici enfin ! [Merci Ségo pour ta patience ;-)] Ce que j'ai vu et vécu en Alaska m'amène donc à vous proposer cette analyse, sans prétention. Je vais tâcher d'éviter une approche trop simpliste, ou au contraire trop technique.

L'environnement. Vaste sujet. Mais de quoi on parle ? Commençons par parler de la nature. L'Alaska est un territoire immense (trois fois la France) et très peu peuplé : environ 720.000 habitants. C'est à peine plus que le Luxembourg ; c'est une fois et demie Toulouse. Quand on quitte une ville ici, on est donc très rapidement "au milieu de nulle part", comme le bon citadin que je suis a l'habitude de dire. Ce nulle part, c'est la nature, pleine et entière. Les conditions climatiques et géographiques peuvent renforcer une étrange impression de bout du monde, surtout quand la météo n'est pas bonne et que la luminosité est réduite en hiver. Mais l'Alaska, c'est aussi un concentré de tout ce qu'on peut trouver sur Terre : chaînes de montagnes, volcans, kilomètres de côtes (plus que celles des 49 autres Etats cumulés), immenses forêts, plaines, fleuves, fjords, tundra. Ne manquent à l'appel que la plage et ses cocotiers.

Devant cette immensité, on ne peut que se sentir tout petit. Comme en Laponie (Nord de la Scandinavie), on ne peut qu'être proche de la nature. Pourtant ici, ce n'est pas toujours le sentiment que j'en ai eu. D'abord parce qu'on est aux Etats-Unis, sans doute. Et que l'économie est plus importante que tout. Ensuite parce que les Etats-Unis et l'Alaska en particulier sont des terres de liberté : « J'ai le droit de faire ce que je veux ». Enfin parce qu'on peut entendre ici ou là : « Après tout, l'Alaska est tellement grand qu'on peut bien polluer un peu localement avec quelques puits de pétrole ou une centrale électrique qui fonctionne au charbon. Ça ne va pas changer la face du monde ! ». Malheureusement si, ou en tout cas, ça y contribue.

Peu semblent prendre conscience des chiffres qui révèlent que l'Alaska est une des régions du monde les plus touchées par le changement climatique et des conséquences que cela peut avoir. On estime que l'Alaska se réchauffe 4 fois plus que le reste du monde. En 50 ans, la moyenne des températures annuelles a déjà augmenté de plus de 2°C alors que dans le même temps, l'ensemble de la planète s'est réchauffée en moyenne de 0,5°C. La NASA elle-même le confirme dans un récent rapport.

Ici, qui dit réchauffement climatique, dit aussi fonte de la calotte polaire. Jusqu'alors, quelque soit la saison, l'océan Arctique est totalement ou partiellement gelé. Mais on prévoit qu'à partir de 2013, l'Arctique pourrait être libéré des glaces durant l'été. Et une fonte de la calotte polaire conjuguée à d'autres phénomènes entraine une élévation du niveau de la mer, particulièrement dramatique quand on sait que la grande majorité des populations habite sur la côte.

De même, en plusieurs régions le permafrost fond. Le permafrost (ou pergélisol), c'est tout simplement un sol et un sous-sol qui restent gelés en toute saison (perma – permanent ; frost – gelé). C'est le cas d'une bonne partie de l'Alaska, comme en Sibérie ou dans le Nord canadien. Or s'il fond, c'est d'abord problématique pour toutes les infrastructures humaines qui reposent dessus (bâtiments, réseaux routiers, tuyaux enterrés, etc.) et qui s'effondrent. Mais surtout, la fonte du permafrost libère une quantité phénoménale de méthane (CH4) qui est, pour faire simple, un gaz 23 fois plus dangereux que le CO2 en termes d'effet de serre. Et le permafrost sous-marin est également touché. La libération du méthane acidifie davantage encore les océans, qui en deviennent toxiques pour les poissons, mammifères marins et tout ce qui vit sous l'eau.

Pas très réjouissant tout ça ! En effet, j'en suis désolé, mais c'est la réalité. De ce que j'ai pu en comprendre de mes discussions avec certains, ce qui est plus triste encore, c'est que peu s'intéressent à ces problèmes. Il y a certes des organisations environnementalistes (tel le WWF ou Greenpeace). Mais il semble que beaucoup travaillent à la protection des animaux. Peu sont celles qui travaillent sur le problème dans sa globalité. Et face aux lobbys pétroliers, elles ne pèsent pas grand-chose. Malheureusement, je n'ai pas pu en rencontrer pour étayer mes propos, donc j'en resterai là.

La situation n'est pas désespérée pour autant. On peut espérer revivre des périodes telles qu'a connu le pays à une époque encore récente (disons les années 1960-1970). De nombreuses initiatives politiques avaient alors permis de poser les bases juridiques de la protection de l'environnement aux Etats-Unis. En particulier, cela avait résulté en un vaste mouvement de création de parcs nationaux, de réserves de vie sauvage, etc, à travers tous les Etats-Unis. Ces différentes "terres publiques" – "public lands" en anglais – sont gérées au niveau fédéral ou au niveau local (Etat, comté ou municipalité). Elles ont des missions assez variées qui vont de la protection de la faune et de la flore à la gestion et à l'aménagement du territoire. Sur ces immenses territoires, toute activité humaine comme la pêche, la chasse, ou encore l'exploitation des ressources est interdite, ou très restreinte et très encadrée. C'est ainsi, par exemple, que des réserves d'hydrocarbures du Nord ne peuvent être exploitées car situées dans ces zones protégées. La question est toujours de savoir combien de temps encore elles résisteront aux lobbys pétroliers.

Par ailleurs, l'Alaska dispose de ressources particulièrement renouvelables qui pourraient être utilisées si le tout-pétrole était abandonné. Dans le Sud et le Sud-Ouest, région particulièrement volcanique comme je vous l'avais dit, c'est l'énergie géothermique qui peut être utilisée pour chauffer les maisons ou même produire de l'électricité. Le long des côtes, et particulièrement encore dans les îles Aléoutiennes dans le Sud-Ouest, le vent souffle abondamment toute l'année. L'éolien pourrait être développer très rapidement. Le solaire également est une ressource inépuisable, surtout en été dans le Nord où le soleil brille une très grande partie de la journée. Dans le Sud-Est très humide, c'est l'énergie hydroélectrique qui peut être utilisée. L'océan lui-même, dans l'Ouest, avec sa force marée-motrice, la puissance de ses vagues ou encore par géothermie peut constituer un apport non-négligeable d'énergie.

À l'approche de l'élection présidentielle américaine (qui aura lieu le 6 novembre prochain), le sujet du réchauffement climatique ou de l'utilisation d'énergies renouvelables contre les énergies fossiles peut prendre de l'importance. Deux visions s'opposent : les uns plutôt partisans du développement économique de l'Alaska, qui passerait exclusivement par l'exploitation de ses ressources minières et pétrolières ; les autres plutôt favorables à une évolution des modes de vie et une plus grande proximité ou interaction entre la civilisation humaine et l'environnement qui l'entoure. Pour l'instant, même en mettant l'argument du coût du réchauffement climatique en balance avec le gain financier que représenterait l'utilisation de ces ressources gratuites et renouvelables, trop peu sont convaincus de l'importance de changer le système et d'adapter un peu plus encore son mode de vie aux énergies renouvelables disponibles. Aux Etats-Unis aussi la transition vers une économie verte n'est pas pour maintenant.

J'ai rencontré de nombreuses personnes qui, par intérêt ou professionnellement, travaillent sur ces questions environnementales (à commencer par tous mes hôtes jusqu'à présent). Mais je n'ai pas pu rencontrer de personnes travaillant dans des ONG de protection de l'environnement. De même, j'ai eu très peu de contacts avec des personnes issues des communautés autochtones/indigènes implantées en grande partie dans l'Ouest et dans le Sud-Est. C'est vraiment dommage parce que j'en aurais beaucoup appris sur leur rapport à la nature.

Je quitte un Etat plein de contradictions, aux richesses inestimables et aux motivations très mercantiles. Je me garde bien de tout jugement définitif. Je n'ai eu qu'un aperçu parcellaire de la situation. Mais un aperçu quand même … et vous l'avez lu jusqu'au bout. Bravo !

2 commentaires:

  1. Merci pour cette page passionnante (donc pas si longue à la lecture ).
    Dans ce pays tout blanc, le "vert" n'est donc pas encore prioritaire, malgré leurs richesses durables.
    On t'imagine sur le ferry, au milieu des glaçons... mais n'abuse pas du Canada Dry !
    A trés vite pour la suite de tes aventures ( on est accro de ton blog)!

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  2. hello,
    nous suivons pas à pas ton périple passionnant et partageons à distance toutes tes découvertes et émotions ! (10 h enfermé dans une petite cabane, ça doit être long !!!)
    avec quelques jours de retard, nous te souhaitons un bon anniversaire et nous t'embrassons
    wallon family

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