Aux lecteurs de la première heure, je
dois une petite explication. En effet, le Paraguay ne figurait pas
dans ma liste des pays à découvrir. Pire, j'étais même
suffisamment condescendant pour le considérer comme un pays
"inutile", où il n'y avait pas grand chose à faire ni à
voir.
Tout ce que je connaissais du Paraguay,
c'était le nom de sa capitale (Asunción pour les intimes, Nuestra
Señora Santa María de la Asunción pour les puristes !) et le
fait qu'en juin dernier la droite avait habilement masqué en
destitution ce qui n'était en fait qu'un coup d'Etat pour se
débarrasser de l'ancien évêque que le pays avait porté à la
présidence il y a quatre ans. Forcément, avec ce niveau de
connaissance, il ne me restait que mes préjugés sur lesquels baser
mon opinion.
Je me suis alors rappelé les avis de
trois cyclistes normands (La Très Grande Boucle) avec qui
j'avais correspondu quand j'étais à Portland (Oregon, USA) en mars
dernier. Mon ex-collègue et néanmoins pote Antoine m'avait
également vanté tout l'intérêt d'aller voir un peu ce qui se
passe de l'autre côté du Río Paraguay. Pour finir, Nina et Steve
avec qui j'ai partagé un 4x4 fin décembre pour découvrir le Lípez et le Salar d'Uyuni (Bolivie) avaient fini par me
convaincre que je passais à côté de quelque chose si je n'ajoutais
pas ce pays à ma liste déjà bien fournie.
Enfin les circonstances ont fait que
deux très bons amis ont prévu de me rendre visite en Argentine à
partir de mi-février. Du coup, entre le départ de mes parents à
Santiago et leur arrivée à Buenos Aires, il me restait trois
grosses semaines à "meubler". Se sont donc petit à petit
profilés un séjour en Uruguay, puis un détour par les chutes
d'Iguazú et pour finir une semaine au Paraguay. Pour des raisons
évidentes de géographie, j'ai bien sûr inversé l'ordre.
J'ai donc passé une semaine au
Paraguay, où je quittais Fred avec qui j'avais traversé en stop le
quart nord-ouest de l'Argentine et où je retrouvais Henning, mon
compagnon de voyage de novembre et décembre (Pérou-Bolivie). Et au final, tout comme
le Panama, j'ai été conquis par le Paraguay et me suis
promis de ne plus faire le petit merdeux qui croit savoir et se
permet de juger sans connaître.
Et puisqu'il n'y avait soi-disant pas
tant de chose à faire, qu'ai-je finalement pu inscrire à mon
programme ? Plein de choses ! J'ai commencé par visiter
Asunción. C'est un doux mélange d'architecture coloniale décrépie et de bâtiments tout droit sortis des années 1960-70 à l'esthétique
toute discutable. C'est une douce atmosphère de tranquillité malgré
la taille de la métropole. Ce furent deux nuits dans une pension
familiale recommandée par Antoine et dont la gentille gérante était
aussi bavarde qu'intéressante. Et enfin, ce furent les empanadas
jamón y queso (chaussons fourrés au jambon et fromage), plaisir
gourmand dont on a su abuser sans honte et sans modération.
A Asunción, j'ai également rencontré
Rosa, une personnalité intéressante recommandée par ma copine
Emilie. Rosa a ouvert l'espace culturel féministe La Serafina il y a
huit ans. C'est avant tout un lieu et une association destinés à
venir en aide aux lesbiennes (et dans une moindre mesure aux gays et
aux transsexuel-le-s). Mais c'est aussi une structure qui milite pour
la défense des droits des lesbiennes, dont l'action a été
récompensée en décembre 2011 par l'attribution du prix des droits
de l'Homme de la République française (remis par Alain Juppé à
l'époque). Echange intéressant sur la situation et les droits des
personnes homosexuelles au Paraguay, tout particulièrement quand on
les met en perspective avec le débat qui agite la France à propos
du « mariage pour tous ».
Avec Henning, on avait conclu d'aller
faire un tour dans les communautés mennonites du Chaco paraguayen,
l'immense région du Nord-Ouest. Mennonites ? Oui, c'est un
groupe religieux originaire du Nord de l'Allemagne et des Pays-Bas,
suivant les préceptes d'un certain Menno Simons (1496-1561). Les
Mennonites du Chaco se sont installés là en 1930, après avoir été
chassés de la Russie communiste (où la liberté religieuse avait
disparue). Dans cette région particulièrement aride et
inhospitalière, ils vivent principalement de l'élevage bovin (pour
le lait et la viande) et un peu de culture (cacahuètes et sésame).
La communauté se divise en trois colonies d'une quinzaine de
villages chacune. Au début, environ 25 familles composaient un
village. Aujourd'hui, ils sont 18.000 à vivre dans le Chaco
paraguayen. Ils parlent un allemand dialectal (le Plattdeutsch)
et ont leur propre système éducatif, en allemand et espagnol,
agrémenté par l'Etat paraguayen. La raison de leur implantation ?
Les Mennonites recherchent généralement des lieux où ils peuvent à
la fois être garantis de liberté religieuse et en même temps
bénéficier d'une certaine autonomie vis-à-vis de l'Etat
accueillant. Vu l'isolement du Chaco, on peut facilement comprendre
que la région remplissait leur critère. Ainsi des années durant,
les Mennonites étaient exemptés de service militaire (aboli
désormais au Paraguay), ne payaient pas d'impôts et n'obéissaient
à aucune autorité administrative paraguayenne. Comment fait-on pour
survivre dans un tel environnement s'il est si peu hospitalier ?
On se dote d'abord d'une devise : « Gemeinnutz
vor Eigennutz »
(« L'intérêt général avant l'intérêt personnel »).
Et ensuite plus concrètement, on crée des coopératives, on
s'entraide, on est discipliné et on a tous le même idéal. Et
visiblement, ça marche ! Là encore, bien content d'avoir un peu plongé dans cet univers que je ne connaissais que de nom et que j'entourais encore d'images d'Epinal, du type les gens vivent et s'habillent comme au XVIIIe siècle, etc. Non, non, on ne parle pas des Amishs et les Mennonites sont juste des hommes et femmes blancs qui parlent Allemand au cœur de l'Amérique du Sud !
On a réussi à revenir en stop jusqu'à
Asunción, ce qui nous a laissé croire naïvement qu'on pourrait
facilement continuer en stop pour découvrir le sud du Paraguay. Que
nenni ! C'est un mode de déplacement qui n'est pas si répandu
que ça. Les automobilistes nous adressaient en retour des signes
bizarres, genre « oui oui tout va bien, merci ! » en
levant à leur tour le pouce, quand ils ne levaient pas un autre
doigt ! On a donc fini par monter dans un bus après avoir
(beaucoup (trop !) ) attendu au bord de la route.
On a visité une ancienne mission
jésuite à Trinidad. Plutôt que de me répéter, je vais
paresseusement vous suggérer de relire l'article passionnant
que j'avais rédigé sur leurs homologues boliviennes. Quelques
différences cependant. Par exemple, là, les églises n'étaient pas
en bois mais de pierre.
Enfin, on a fini par la visite du
barrage d'Itaipú (les chutes d'Iguazú
ne sont pas loin mais c'est pas pareil). Pendant 30 ans, ce fut le plus gros
barrage du monde avant l'entrée en service du barrage des
Trois-Gorges en Chine en 2009. Le barrage est construit sur le Río
Paraná qui sépare le Paraguay du Brésil. Un traité signé entre
les deux pays en 1973 répartit les 20 turbines pour moitié au
Paraguay et pour moitié au Brésil. Mais comme deux turbines
suffisent à satisfaire 80% de la demande d'électricité du
Paraguay, celui-ci loue ses huit autres au Brésil qui peut ainsi
satisfaire un quart de ses besoins en électricité avec 18 turbines.
Et ce ne sont pas de petites turbines ! La puissance du barrage
est équivalent à dix fois le débit des chutes d'Iguazú (dont vous
verrez les photos très bientôt).
Ce que j'ai aimé dans ce pays au
final ? D'abord le fait qu'il y ait très peu de touristes ou de
voyageurs. Ensuite que les gens sont super sympas et très
accueillants (sauf pour faire du stop). Puis le pays est beau :
aride et plat dans l'immense région nord, plus vallonné et vert (avec une terre très rouge) dans le sud. Qu'on se le dise, les
villes sont assez moches. Et enfin, dernier préjugé, le Paraguay
n'est pas un pays pauvre, pas super riche non plus mais plutôt bien développé, le niveau
de vie est assez élevé et les gens semblent heureux d'y
vivre. J'ai enfin fini par le comprendre !