Dimanche
matin. Des nappes de brouillard ont encore du mal à dégager
complètement le fjord. Le réveil se fait en douceur, à l'odeur du
pain grillé. Don Luis, le propriétaire de ce petit hospedaje
(bed & breakfast
version sud-américaine), est déjà aux fourneaux. Pain maison,
confiture maison, œufs brouillés, un bon café. De quoi bien
démarrer la journée ! D'autant que la pluie a enfin cessé.
Durant le petit déjeuner, je questionne Don Luis sur la vie ici, à
Puyuhuapi, avant et après la construction de la Carretera
austral.
Il
me raconte comment ce petit village, fondé en 1935 par des Allemands
fuyant le nazisme, était complètement isolé, au fond de son fjord,
attendant patiemment les bateaux d'approvisionnement tous les quinze
jours ou tous les mois. On se débrouillait comme on pouvait et on
était autonome. Puis la Carretera
permit des approvisionnements plus réguliers. Elle a également
permis l'essor du tourisme. Ce n'est pas non plus Disneyland ou La
Grande Motte, mais une certaine affluence d'assoiffés de plein air
et d'aventure sillonnant la route australe dans un sens ou dans
l'autre, en voiture, en vélo, en camping-car, en bus, en stop.
Beaucoup d'Israéliens, pas mal de Français et d'Allemands aussi, et
des Chiliens du "Nord" venant à la découverte des confins
de leur pays.
Et
puis au moins deux Belges aussi, à ma grande joie ! Jérôme et
Emilia ont décidé de s'arrêter devant mon pouce levé. Tout de
suite, ils font de la place dans le monospace et Emilia s'installe à
l'arrière aux côtés de leur petit Mateo, un an, une petite bouille
toute blonde avec un large sourire. Après plusieurs années en
mission en Afrique centrale, ils sont en attente d'un nouveau poste
pour Jérôme, dans le domaine de la gestion forestière, ils sont partis tous
les trois pour Santiago fin février. Ils vont sillonner la Patagonie
pendant trois mois, le long de la Carretera austral
côté chilien à l'aller, puis remonter depuis Ushuaïa par la Ruta
40 côté argentin.
En
ce dimanche calme et paisible, mes petits pains chauds dans le sac
pour midi, j'étais regonflé à bloc après ces deux nuits d'étape
à Puyuhuapi. Et d'apprendre que Jérôme et Emilia allaient à la
même destination et qu'ils prévoyaient une petite halte pour jeter
un œil au glacier Ventisquero Colgante, j'étais comblé ! On a
donc passé la journée ensemble, petite rando jusqu'au glacier le
matin, route dans l'après-midi sous la pluie revenue. La
route est longue pour le conducteur : la pluie et les nids de
poule exigent une attention de chaque instant.
Après
une très agréable journée d'échanges, on
se rendra même compte qu'ils étaient tombés sur mon blog
lorsqu'ils préparaient leur propre road-trip
en Patagonie. Nous nous quittons à Coyhaique, capitale
régionale sans grand intérêt. Je m'arrête dans un petit hospedaje
un peu particulier. La propriétaire n'a jamais voulu sacrifier sa
maison à la grande distribution ; résultat : le
supermarché qui occupe tout le pâté de maison entoure
littéralement sa maison sur trois côtés. Elle a un certain côté
irréductible gauloise.
Lundi
matin. La journée va être belle. C'était annoncé depuis plusieurs
jours et les prévisionnistes ne se sont pas trompés. Mais je ne
serais pas tout à fait Français si je ne me plaignais pas un peu :
le vent ce matin est glacial. Pour éviter de mourir congelé sur le
bord de la route, j'avance et lève le pouce dès qu'une voiture
passe. Après quatre sauts de puce de 5 à 10 kilomètres, Daniel
s'arrête pour me proposer d'aller jusqu'à ma destination du jour.
Je n'y croyais plus. Deux jours de suite à plus de 200 km, belle
perf' sur la Carretera austral !
Pourvu qu'ça dure... Je dois être vendredi à Villa O'Higgins, au
bout de la route australe, et il me reste 350 km dans des coins
encore plus reculés.
Quelques
dizaines de kilomètres avant Coyhaique, le paysage a commencé à
changer. Après des vallées et des fjords couverts de forêts, on
arrive dans des endroits plus ouverts, plus secs aussi, moins arboré.
Les couleurs sont magnifiques : le bleu et blanc du ciel
légèrement nuageux, l'or de l'herbe grillée, le vert des quelques
bosquets, le turquoise des lacs et rivières, le noir des sommets, le
blanc des glaciers.
Ces quelques heures avec Daniel seront l'occasion de parler du projet
de centrales hydroélectriques (une succession de cinq barrages) sur
lequel il travaille dans la région de Cochrane un peu plus au Sud.
Pour l'heure, le gouvernement a validé la construction de la
centrale en tant que telle mais pas encore son raccordement au reste
du réseau électrique, via une ligne à haute tension qui devra
traverser cette région sauvage et difficilement accessible.
L'opposition au projet est féroce. Les ONG environnementalistes
dénoncent le déplacement de 19 familles et l'inondation de
différents éco-systèmes impactant faune et flore. Et d'autres
comme Douglas Tompkins (le fondateur américain des marques de vêtements North Face et Esprit qui acquiert de gigantesques territoires pour aider à la conservation du patrimoine naturel de la Patagonie) s'inquiètent de l'impact environnemental, esthétique et
touristique.
En
milieu d'après-midi, j'arrive à Puerto Río Tranquilo, sur les
rives du Lago General Carrera, superbe lac bleu-vert dans cet écrin
de montagnes. Je rate le tour de bateau pour aller voir les calanques
mais je reste passer la nuit. Assez de route pour aujourd'hui. Je continuerai demain !
Note. En attendant le traditionnel diaporama (qui sera publié dans le dernier article de la série), vous pouvez cliquer sur les photos pour les agrandir.
C'est la baraka chilienne en stop !
RépondreSupprimerPourvou qu'çà'doure !!!
A plous