8 mars 2013

Carretera Austral (1/4)


Il est sept heures ce jeudi. Le matin a du mal à se départir des nuages accrochés aux monts environnants. Au fond d'une vallée de la Cordillère, le petit village de Futaleufú s'éveille. Des petites maisons en bois aux couleurs un peu délavées s'échappent les fumées timides des poêles à bois. Il ne fait pas si froid ; il fait surtout très humide. Penché sur mon café fumant, je jette un œil régulièrement par la fenêtre. La pluie n'a pas cessé depuis hier en fin d'après-midi. Les nuages ne connaissent pas les frontières. Mon arrivée au Chili n'y a rien changé. Au contraire, avec les entrées d'air maritime du Pacifique, je ne m'attends pas à des changements de temps dans la journée, voire même dans la semaine.

Cela fait deux jours que j'ai quitté Bariloche. En Argentine, j'ai un succès inégal en stop, mais grâce à César, Carlos et Pedro je réussis à gagner chacune des étapes prévues (Esquel en Argentine puis Futaleufú au Chili). Je me remémore les étapes en stop dans le Nord-Ouest des Etats-Unis. Le climat y est sans doute pour quelque chose. Mais le trafic est beaucoup moins dense. Côté chilien, on compte maintenant une voiture par demi-heure. Heureusement, il y a 95% de chances qu'elle s'arrête et me prenne. Résultat : le temps d'attente moyen est tout aussi bon.

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Au programme aujourd'hui : rejoindre la route n°7, la fameuse Carretera austral (la route australe ou la route du sud). À partir de Puerto Montt, le relief devient de plus en plus hostile aux installations humaines. Sur 1.500 kilomètres, la Cordillère des Andes se termine en une succession de montagnes, lacs, fjords, forêts impénétrables, glaciers, jusqu'à la Terre de Feu. Cette région difficile d'accès aura au moins bénéficié du "rôle positif" de la dictature du Général Pinochet : une route de terre s'enfonce jusqu'à Villa O'Higgins. Je ne pourrai pas aller plus loin et serai obligé de repasser en Argentine, à El Chaltén.

Entre Futaleufú et la Carretera austral, je suis conduit par Walter, tout heureux de me présenter la région, de me nommer lacs et ruisseaux, de me décrire les couleurs des eaux, leur transparence aussi. N'allant pas jusqu'au bout, je marche deux heures avant de rejoindre Villa Santa Lucía, sur la Carretera. En route, je croise une jeep-camping-car. De loin, je ne sais quelle intuition me persuade que ce sont des Français. Plus ils s'approchent, plus je crois reconnaître une plaque minéralogique européenne et un drapeau tricolore. Je fais signe de s'arrêter. Et là, c'est gagné, Patrice et Véronique, deux Normands (de l'Eure) souriants et enthousiastes, m'expliquent qu'ils sont sur les routes sud-américaines pour deux ou trois ans. Ayant déjà mis six mois à faire ce que je compte mettre un mois et demi à pied, je comprends qu'ils aient prévu large !

Arrivé à Villa Santa Lucía, sur la Carretera, j'imagine et espère qu'il y aura plus de trafic. Non. Je dois attendre une heure, toujours sous la pluie, avant que ne s'arrête Lucas. Tout comme les chauffeurs décident de s'arrêter ou pas, quand on fait du stop, on a une seconde et demi pour décider si on monte ou pas. Par deux fois aux Etats-Unis, je suis monté en me disant « on y va, ça devrait passer ! ». Lucas a un accent parfois compréhensible et un comportement un peu étrange. La pluie incessante et la perspective d'arriver à bon port pour la nuit me font monter. Il commence par partager son sandwich avec moi, puis sort la bouteille de Vermouth (genre de Martini). Là je commence à comprendre pourquoi j'ai du mal à tout comprendre ; alcoolisé, l'articulation n'est pas son fort. Une fois le contact allumé et les mains vissées sur son volant, Lucas s'imagine en Sébastien Loëb [le nonuple champion du monde français de rallye]. Rincé par deux jours de stop sous la pluie et le vent, je tente de ne pas voir qu'on a bien failli se manger une chèvre, la remorque d'un camion de travaux publics, l'arrière-train d'une vache et un certain nombre de fossés. Au lieu de ça, je réussis même à soustraire mon attention et m'endormir doucement au gré des nids de poule et du chauffage de la fourgonnette.

Arrivé à bon port à La Junta, j'en repars dès le lendemain matin. Patrick et Rose me déposeront ce matin à Puyuhuapi, charmant petit village au bord d'un lac, avec un petit panneau « Danger Tsunami » ... ah bah oui ! en fait, c'est le Pacifique qui arrive jusqu'au fond de cette petite vallée. Village très reculé, horizon bouché par les nuages, on a vraiment l'impression d'arriver au bout du monde, à la fin de la Terre. C'est loin, mais c'est beau ! C'est froid et humide, mais c'est l'aventure !!


2 commentaires:

  1. Bonjour Nicolas,

    Je te suis toujours avec attention. Ta fin de périple va me rappeler notre séjour à El cafayate et El Chalten. Là-bas, c'est le vent qui nous a marqué à vie! Le vent souffle en permanence sur ce village au pied du Fitz Roy.
    Bref, profite bien de tes instants chiliens et argentins. Et profites bien de la viande là-bas, tu n'en retrouveras pas d'aussi bonne en Europe..
    Ciao!
    Arnaud

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  2. Excellent cet article !
    Encore une fois, bravo pour ton périple. Et merci de le partager, ça me donne plein d'idées.
    Bonne route.

    Xavier

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