Il est 15h ce vendredi. Je retrouve
Andrew. Après quelques jours de correspondances par mail, je l'ai
rencontré la veille après qu'il m'eut proposé de venir passer le
week-end avec ses potes. On passe faire un peu de ravitaillement. On
s'arrête chez lui pour faire les sacs : surtout ne pas oublier
une épaisseur, du sous-gant à la grosse doudoune en duvet, en
passant par les bottes rembourrées et les sacs de couchage à -10°
ou -20°. On embarque de quoi cuisiner, faire fondre la neige, les
skis, des jeux, les maillots de bain (vous verrez...).
La nuit est tombée, on arrive au
chalet qui nous servira de base arrière pendant le week-end. C'est
une grande pièce de 6 mètres sur 6 avec un poêle à bois, une
grande table au milieu et six grosses couchettes superposées en
bois. Pas d'électricité : on se chauffe au bois, on cuisine
sur le poêle. Pas d'eau, on fait fondre la neige et les toilettes sont dehors. Et là-dedans,
vous mettez 11 personnes et cinq chiens. Très vite une bonne ambiance. Je me
concentre pour suivre les conversations, d'abord parce que leur
anglais est bourré de "slang" (ou argot) très différent
de celui des Britanniques et puis parce que c'est l'heure de mes
petits coups de barre dus au décalage horaire. Sinon au niveau des
chiens aussi, c'est la fête ! Le chalet s'anime et se chauffe
très vite.
Samedi, on sort les skis. Au
programme : cross-country (ski de randonnée). On a prévu 25
km. On s'habille, ça prend des heures ! Mais chaque détail
compte. Et c'est parti. Le soleil est là, six heures par jour
environ. Il ne monte pas très haut à l'horizon mais il sublime les
paysages, en particulier au moment du crépuscule qui dure des heures
à cette latitude.
Tacite règle du jeu : personne ne
s'attend. Chacun avance. À son rythme. On ne peut s'arrêter ni trop
longtemps ni trop souvent, sous peine de geler sur place et de ne
plus pouvoir se réchauffer. On fait une halte au milieu dans une
cabane où on peut faire un feu et grignoter tout ce que l'Amérique
peut proposer de junk-food, le tout arrosé de RedBull. Et on sent le
compteur à calories remonter en flèche ; c'est génial !
On peut manger n'importe quoi, de toute façon, on aura tout brûler
d'ici l'arrivée.
On repart. Les paysages sont vallonnés,
une bonne couche de neige au sol et beaucoup de pins très fins. Il
fait -40°. Inutile de demander s'il s'agit de Celsius ou de
Fahrenheit : c'est la seule température où les deux sont
équivalentes. Bien couverts et en mouvement permanent, on n'a pas
froid. Au contraire ! On dégage tellement de chaleur que la
condensation se transforme en glace sur les surfaces extérieures
(vêtements, cils et sourcils, etc.). En fin de journée, j'ai juste
mal au bout des doigts. Sans doute une conséquence d'incessants
chaud-froid. Dans deux jours, ça aura disparu.
Les chiens tiennent bon avec leur
petite pèlerine sur le dos et des espèces de chaussettes en polaire
imperméable. L'ordi est resté au chaud, mais l'appareil photo lui
aussi tient bon. Et dire qu'il est contre-indiqué de le sortir
en-deçà de -5°C ! Mais pour la bonne cause et pour de super
photos, on ne renonce pas. Au final, j'ai largement préféré cette
expérience à celle, un peu plus malheureuse d'il y a 15 ans. Je ne
suis toujours pas persuadé d'être allé beaucoup plus vite que si
j'avais parcouru la distance à pied mais je suis arrivé avant la
nuit noire et j'ai pas fini dernier.
Au retour, les uns réchauffent le
repas, les autres vont couper du bois le long de la rivière gelée. Ma
jambe gauche retiendra que les rebords de la rivière le sont un peu
moins... Heureusement que j'ai une paire de chaussette de rechange.
Au menu du dîner : un copieux chili con carne et des boulettes
de beurre de cacahuète enrobées de chocolat (une tuerie !) en
guise de dessert.
Le soir, on ressort. On part, en
voiture cette fois, vers les sources d'eaux chaudes de la rivière
Chena (Chena hot springs). Même par ces températures on arrive à
réaliser s'il fait plus ou moins froid que ce qu'on a connu plus tôt
dans la journée. Le verdict tombe de la part du gérant des
sources : « 55 below ». En français et en Celsius,
ça donne -48,3°. Record personnel du Kosovo battu de presque 20°.
Et qui dit sources d'eaux chaudes, dit
baignade ! C'est là qu'on sort les maillots et qu'on court vers
les bassins extérieurs. En courant, on ne sent pas le froid. Et là,
on plonge dans une eau à 40°C (en positif !). 90° d'amplitude
thermique. Heureusement que la température extérieure n'est pas de
10°C, on finirait comme le homard au fond de sa casserole.
L'air humide autour des sources "gèle"
instantanément. Les cheveux givrent en cinq minutes, telle l'herbe
au petit matin après une nuit bien fraîche. On est beaux avec nos
tignasses toutes blanches. Mais on ne ressent pas le froid. Là pas
de photos : condensation + froid extrême, j'avais pas envie de
faire sauter toute l'électronique !
De retour au chalet, Andrew s'amuse à
se projeter : « Même si on gagnait 35°, il ne ferait
toujours que -15°C ! ». C'est vrai qu'on a du mal à le
croire. Au delà de -15°C ou -20°C, les chiffres ne parlent plus
trop. Mais c'est impressionnant. Dehors, on a un peu de mal à
respirer, l'air râpe la gorge comme du papier de verre. Renforcée
par un ciel sans nuage, on a l'impression qu'il n'y a même plus
d'atmosphère. C'est alors que tout le monde s’emmitoufle pour la nuit.
Dimanche, après une petite balade à
pied, il est temps de s'occuper des voitures. Par ces températures,
elles aussi souffrent. Il faut réchauffer tout ça. Le métal ne
craint pas ces températures mais c'est pour les liquides que c'est
dur. Tout gèle ; sauf l'essence. L'huile devient plus gluante
que le miel. Certains branchent leur véhicule au petit groupe
électrogène que quelqu'un a apporté. Cela met en route le
mécanisme de réchauffe au sein du moteur et de la batterie.
D'autres font brûler du charbon sous le capot, qu'ils recouvrent de
vieilles couvertures pour contenir la chaleur. En dernier lieu, il
faudra sortir un chalumeau pour la dernière voiture récalcitrante.
Ensuite, les moteurs tournent à vide un moment pour tout remettre à
température. Tout ça prend entre deux et trois heures, mais pour
les passionnés de mécanique automobile, ça passe très vite !
Au retour, je loge chez Andrew et sa
copine Anna. Mauvaise surprise, le chauffage a sauté pendant le
week-end. Il fait -5°C dans la maison. Le chat, qu'on avait laissé,
n'en peut plus de joie de nous revoir. Il a bien cru finir en Mr.
Freeze. L'eau a gelé dans les canalisations. Et pour rappel, tout ce
qui gèle occupe un volume plus important qu'à l'état liquide. Il
faut donc remettre en route le chauffage d'urgence avant que tout
pète.
Voilà. Ça fait une petite semaine que
je suis là et j'ai déjà eu un bel aperçu de l'Alaska en hiver.
Mais en soi, je n'ai pas encore beaucoup bougé. Promis, demain, le
programme qui m'attend... ou plutôt les options qui s'offrent à
moi.
PS. Un grand merci pour vos nombreuses
visites et pour vos messages/commentaires (tout spécialement les 4e,
ça m'a fait super plaisir de vous lire). Je sais que certains galèrent
mais j'ai pas encore la recette magique pour expliquer comment ça
marche (d'autant que c'est plus simple pour moi puisque je suis
administrateur du blog). Si certains pouvaient contribuer,
j'apprécierai :-)