Bolinas.
C'était un nom de village sur mon carnet de route. C'était une
suggestion confidentielle de la part de Lucio (que vous avez
découvert dans mes Rencontres sur la côte Pacifique).
Ça a été quelques décennies de lutte contre le comté pour éviter
d'avoir des panneaux indiquant le village sur les routes alentours.
Mais Bolinas aura été bien plus que ça !
Tout
a commencé par une fin de journée très pluvieuse, où j'avais été
contraint à un détour de plusieurs dizaines de kilomètres parce
qu'un de mes conducteurs du jour ne m'avait pas déposé au bon
endroit (malgré mes demandes répétées...). Et là, Mark s'arrête.
Je n'y croyais plus trop. Je lui dis que je cherche à aller à
Bolinas. Il me répond : « Monte ! C'est là où
j'habite ». La belle aubaine !
En
voiture, on commence à bien discuter. Le courant passe tout de suite
avec cet homme de 70 ans, franc sourire, curieux, vétéran du
Vietnam, vagabond dans sa jeunesse, stabilisé à Bolinas depuis 25
ans. Quand je lui demande quelques pistes pour trouver un terrain
pour camper pas cher dans le coin, il me fait comprendre qu'il y
réfléchit. En fait, il mûrissait déjà sa réflexion depuis
quelques minutes. Et arrivé à Bolinas, il me propose un tour du
village et ensuite de m'héberger chez lui. Il faut juste que sa
femme Meg soit d'accord. Mais quand vous voyez Meg, vous vous doutez
qu'elle est en général d'accord pour beaucoup de choses.
Bolinas
est un village un peu isolé. Littéralement, ce n'est même pas sur
le continent américain puisque la fameuse faille de San Andreas
(responsable de tant de tremblements de terre) sépare la plaque du
Pacifique où se trouve Bolinas de la plaque de l'Amérique du Nord
sur laquelle se trouvent les Etats-Unis.
Dans
les années 70, toute une bande de hippies s'est installée là pour
préserver la petite baie (ce qu'ils appellent le Lagoon)
d'une fuite d'hydrocarbures en baie de San Francisco. Et ils sont
restés. Quand quelques businessmen
ont commencé à avoir des vues sur cet endroit assez paradisiaque,
les hippies se sont organisés politiquement pour créer une
véritable communauté.
C'est
cet esprit qui a perduré au fil des décennies. Non pas celui d'une
communauté fermée d'irréductibles hippies vivant dans des vans
Volkswagen où ne régneraient que « sex,
drugs and rock 'n roll »
comme ça pouvait être le cas dans d'autres temps. Non. C'est bien
plus une communauté consciente de la chance qu'elle a de vivre dans
une endroit superbe, qu'elle se doit de préserver et faire vivre en
harmonie.
La
communauté ne cherche pas à s'étendre outre mesure. Entourée par
des parcs naturels, la place est limitée, l'accès à l'eau
difficile. C'est d'ailleurs ce dernier qui conditionne l'octroi ou
non de terrain. C'est ainsi que la communauté s'est battue pour
empêcher la construction d'un complexe hôtelier : « désolé,
mais non ! On ne pourra avoir assez d'eau pour vous ! ».
Fin du projet.
À
dire vrai, c'est assez fascinant de voir comment les personnes qui
habitent là se sentent impliquées dans la vie de la communauté.
Il y a un vrai sentiment d'appartenance, de vision collective pour
leur communauté, de mobilisation et de lutte collective quand arrive
un danger naturel ou urbain. Ce n'est pas simple tous les jours mais
Mark et Meg m'ont assuré que cet état d'esprit se construisait au
jour le jour. Par des réunions régulières, des événements, des
échanges entre les habitants, etc.
Certains
travaillent dans l'une des quatre fermes bio de Bolinas, d'autres
font tourner les quelques commerces et cafés du village, d'autres
encore pèchent ou travaillent à l'extérieur. Mark et Meg, en
voyant mon intérêt et ma curiosité, m'auront aussi fait rencontrer
John, un copain qui cultive tout un tas de plantes exotiques pour
étudier la biodiversité. Fascinant et enrichissant.
Mark
et Meg eux habitent là depuis près de trente ans. Ils cultivent
leur propre jardin qui leur permet d'être auto-suffisants en fruits
et légumes. Ils ont construit leur maison en bois, avec un maximum
d'ouvertures pour se sentir presque dehors. Ils font du compost.
Ils produisent une bonne partie de leur électricité grâce à des
panneaux solaires et peuvent se permettre d'arroser leur jardin
grâce à l'eau de récupération.
Bolinas est un petit havre de paix à quelques kilomètres de la baie de San
Francisco. On l'aperçoit au loin d'ailleurs. Et on apprécie le
calme ici en imaginant l'agitation là-bas. Mark et Meg, par leur
accueil simple et chaleureux, auront été une vraie belle surprise
sur ma route. Ils auront été une vraie source d'inspiration et de
réflexion. Une belle conclusion de mes quinze jours sur la côte
Pacifique, avant d'aller découvrir San Francisco.
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