El
Chaltén, autoproclamé village le plus jeune d'Argentine, a été
fondé en octobre 1985. Le gouvernement argentin avait la vision
stratégique à peine dissimulée d'occuper cette région
géographique où les frontières font encore aujourd'hui l'objet de
désaccords. En fait, ici même, Chili et Argentine sont d'accord sur
le fait qu'il y a un désaccord. C'est déjà ça !
Petit
village de 1.000 habitants hors touristes, El Chaltén se fait aussi
modestement appeler Capitale nationale du Trekking (randonnée, en
anglais). Bon, d'accord, il y a de très belles balades à faire aux
alentours, au pied des monts Fitz-Roy et Torres, sur une journée ou
sur plusieurs. Fitz-Roy, quel drôle de nom ? Pas très
hispanique tout ça ! En fait, ce piton rocheux fut baptisé en
l'honneur de Sir Robert Fitz-Roy (1805-1865), commandant du HMS
Beagle qui a remonté le Río Santa Cruz en 1834 et cartographié
une bonne partie de la côte patagonne.
Après
quelques jours à El Chaltén, je reprends la route : la Ruta
40, l'équivalent de la Carretera Austral côté argentin.
La route est meilleure, asphaltée, mais absolument aucun petit
village, au contraire du Chili. C'est un vrai désert, une plaine
balayée par les vents, de grandes étendues d'herbe grillée. Par
exemple entre El Chaltén et El Calafate (étape suivante), il y a
plus de 200 km, avec juste une petite auberge-restaurant entre les
deux. Tout de suite, c'est plus difficile de trouver du monde pour
faire du stop. Soit, prenons le bus alors.
À El
Calafate, pas grand-chose (en fait, rien) à faire. L'endroit est mort. Sans mauvais jeu de mots, c'est d'ailleurs là qu'est décédé l'ancien président Nestor Kirchner (le mari de la présidente actuelle). A part d'apprendre ça, je suis allé à 75 km de là visiter le fameux glacier Perito Moreno. Vous voulez aussi savoir
d'où vient le nom ? Perito, qui signifie spécialiste
ou expert en espagnol, est un terme souvent utilisé pour
qualifier Francisco Moreno (1852-1919), directeur du musée de la
Société scientifique argentine et grand explorateur de la région
australe de l'Argentine (et qui joua un rôle important pour la
défense du territoire argentin dans le conflit frontalier qui
l'oppose au Chili. Tiens donc, encore !). Petit clin d'oeil, c'est également lui qui a établi le scoutisme et le guidisme en Argentine.
Le
glacier présente un front curviligne de 5 km pour une hauteur
moyenne de 75 mètres au dessus du lac Argentino, soit l'équivalent
d'une rangée d'immeubles de 25 étages qui irait de l'Arc de
Triomphe et l'Hôtel de Ville de Paris. Et le glacier remonte jusqu'à
30 km à l'intérieur des terres, couvrant ainsi plus de 250 km2.
On comprend que cette masse de glace fasse pression et qu'il avance
(même si c'est un phénomène rare apparemment). On estime sa
vitesse moyenne de progression à 2 mètres par jour, soit 700 m par
an. Donc ça grince, ça grogne, ça gronde, ça s'effondre en
permanence.
Le
Perito Moreno ressemble un peu au dessus d'une tarte meringuée ou à
une île flottante (tiens, ça faisait longtemps que je n'avais pas
parlé bouffe!). Il s'avance dans un bras – le Brazo Rico – du
Lago Argentino, jusqu'à rejoindre la rive d'en face (d'où les
visiteurs observent le glacier) et ainsi séparer le Brazo Rico du
reste du Lago Argentino. Dans ce nouveau petit "lac", les
eaux peuvent monter jusqu'à 30 mètres au-dessus du reste du Lago
Argentino. Cette pression sur le glacier creuse petit à petit un
tunnel, qui se transforme en arche et qui finit par s'effondrer. Et
le processus recommence. Les cycles peuvent durer de deux ans pour
les plus courts, jusqu'à 16 ans pour les plus longs enregistrés. Il
faut être là au bon moment pour voir le tout s'effondrer. La
dernière fois, c'était l'an dernier. Mais sinon, tous les jours des pans entiers de glace se détachent. Dans un bruit
assourdissant, c'est donc l'équivalent d'un immeuble de 25 étages
qui s'effondre et s'enfonce dans l'eau.
C'est ce qui est le plus
impressionnant sur ce glacier qui, au final, n'est pas forcément
plus beau ou plus majestueux qu'un autre. J'ai d'ailleurs presque
préféré le glacier O'Higgins (cf. article précédent) :
moins de touristes, plus isolé, plus difficile d'accès. Et puis
c'était mon premier du genre. Cela dit, la région et le glacier
valent quand même le détour. Vous en jugerez par vous-mêmes...