31 décembre 2012

La vie dans les Missions jésuites de Chiquitos

Moi aussi j'ai pris quelques jours de vacances de blog. Pas vraiment prévu, mais les aléas du voyage font que l'exigence de régularité dans les publications n'est pas toujours atteinte.

Pour ce 100e article, un peu de Culture Gé'. Ou disons plutôt Découverte pour éviter de rebuter certains trop rapidement. Reprenons la série « La vie à... » pour découvrir ce que sont ces fameuses missions jésuites.

Au XVIe siècle, en même temps que les Conquistadores, ont débarqué dans le Nouveau Monde différents ordres religieux afin d'évangéliser les peuples indigènes. Certains continuent à les appeler aujourd'hui les Catolisadores.

Les premiers Jésuites sont arrivés au Pérou en 1568 sur autorisation du roi Philippe II d'Espagne, puis en Bolivie en 1587. A partir de Santa Cruz de la Sierra (dans l'Est de la Bolivie actuelle), ils ont progressé vers l'Est, dans la région de la Chiquitania (aujourd'hui Chiquitos). Au-delà d'évangéliser les peuples, ils avaient sans doute pour mission de sécuriser la route qui mène vers Asunción au Paraguay.

Ce n'est qu'à partir de 1691 que les Jésuites ont créé et administré ce qu'on appelle aujourd'hui encore des Missions. Pour faire simple, disons que ce sont des villages qui s'organisaient autour d'une place centrale, avec une église et un couvent d'un côté, et des habitations sur les trois autres.

Il faut savoir qu'à l'époque, les conquistadors portugais côté brésilien n'étaient pas des rigolos. Face à ces redoutables marchands d'esclaves, on peut comprendre que les Indiens aient donc rapidement préféré la présence, la tutelle voire la protection des Jésuites. En outre, les Jésuites dans leur mode d'administration ont toujours laissé une grande autonomie et des responsabilités aux Indiens, malgré leur sens aigu de l'organisation et de la hiérarchie.

Dans la région de la Chiquitania, onze missions ont ainsi été établies. La majorité d'entre elles ont dû être déplacées ou reconstruites pour cause d'attaques de tribus hostiles, de feux, d'épidémies, d’inondations, etc. Plus au Nord de la Bolivie, d'autres missions ont également été établies, de même qu'au Paraguay.

Puis les années ont passé et les Jésuites ont commencé à être accusé de vouloir protéger les peuples originels, de s'enrichir du commerce des Indiens voire de soutenir leurs rébellions contre les envahisseurs. D'autres accusations ont continué à peser sur eux, comme le complot qui visait à tuer le roi du Portugal. Au final, les Jésuites ont été expulsé de tous les territoires et possessions portugais en 1759. Les Français ont fait de même en 1764. Enfin, le roi Charles III d'Espagne les expulsa d'Espagne et d'Amérique latine en 1767.

Après cette date, l'Eglise localement a repris la main sur les missions. Elle pensait pouvoir continuer à administrer les missions aussi bien que les Jésuites et bénéficier de leurs richesses. Mais il faut admettre que les prêtres séculiers n'ont jamais réussi à se hisser à la hauteur des Jésuites, bien mieux formés. Et les missions ont commencé à lentement décliner et à se vider. Aujourd'hui ne restent de ces missions que l'architecture intéressante qui mélange des influences européennes et indigènes et un héritage culturel encore très présent (lié à la mémoire de la liberté et de la prospérité liées à la présence des Jésuites).

Revenons sur l'organisation des missions. Dans chacune d'entre elles, deux prêtres se répartissaient, l'un les affaires religieuses, l'autre l'administration et le bien-être de la communauté (en lien avec le chef de tribu et un conseil de représentants). Aujourd'hui encore certaines de ces missions fonctionnent toujours sur le modèle des Jésuites en termes d'administration et d'institutions. Au moment de leur expulsion, seuls 24 pères jésuites étaient présents sur les 11 missions, pour une population indigène d'environ 25.000 personnes. Les Jésuites parlaient le Chiquitano, lengua franca des tribus locales.

Traditionnellement, les tribus chiquitos vivaient d'agriculture (maïs et yuca), la chasse et la pêche complétant leur alimentation durant la saison sèche. Les Espagnols ont introduit la culture du cacao et du riz. Les Jésuites ont, eux, apporté la culture de l'élevage (bovins et ovins). Les missions étaient auto-suffisantes et, vu leur isolement, de facto autonome de la couronne d'Espagne.

Inutile de trop revenir sur l'architecture ; vous aurez assez des photos ci-dessous. Voilà pour cette petite semaine passée tranquillement d'une mission à l'autre, en compagnie de Claire (Française installée en Guyane) rencontrée dès le premier jour à San José de Chiquitos. Puis, de retour à Santa Cruz, j'ai retrouvé Falko, un ami allemand avec qui je passe maintenant quinze jours, entre Sud-Ouest bolivien et Nord Chili.


Une bonne année 2013 à toutes et à tous!!



17 décembre 2012

PC Course

Jour 330. Kilomètre 38.825. Latitude 16° 22' Sud.


Un petit récapitulatif de mon itinéraire depuis Cuzco, et avec un peu d'anticipation sur la suite.


Distance parcourue entre Cuzco et Uyuni : 4.615 km


Parti de Cuzco, j'ai rejoint les rives du Lac Titicaca. Puno et ses îles flottantes ont été la dernière étape péruvienne. Passage de frontière ; bienvenue en Bolivie ! Deux jours sur l'Isla del Sol, côté bolivien du Lac.

Ensuite ce fut La Paz en base arrière pour escalader le Huayna Potosí puis aller randonner dans la Cordillera de Apolobamba. Sucre, la "ville blanche" et capitale du pays, a été l'étape suivante. Puis direction Santa Cruz pour une petite semaine dans les Missions jésuites. J'y suis actuellement, mais en attendant l'article et les photos vous pouvez revoir l'excellent film Mission (et sa magnifique bande-son).

A retour à Santa Cruz, je trouverai Falko, un ami allemand, qui vient passer les fêtes de fin d'année dans la région. On se dirigera vers la ville minière de Potosí, puis Uyuni et son célèbre salar (désert de sel), et enfin la région du Sud Lipez entre Noël et Nouvel An. Il sera ensuite temps de passer au Chili !

14 décembre 2012

Cordillera de Apolobamba

Attention ! article (un peu/très!) long...
coupez le four, débranchez la télé,
ne partez pas en réunion tout de suite,
ou ne prenez pas un train dans deux minutes.

Début novembre en Equateur, je rentre des Galapagos et je prends le même bus que Henning et Paulo, deux Allemands. Depuis, nous avons randonné à travers le Pérou, retrouvé Lisa la copine de Paulo, débarqué en Bolivie et gravi le Huayna Potosí. Cinq semaines au total de compagnie très agréable et aujourd'hui me voici à nouveau seul sur les routes. Alors j'ai décidé de vous emmener avec moi pour une petite semaine dans la Cordillère d'Apolobamba.

La première question que vous allez me poser : « qu'est-ce qu'on met dans son sac-à-dos ? »
(J'en ai entendu certains dire « valise », non?!)

Commençons à penser à la nuit. On prend une tente légère et compacte. On ajoutera un matelas gonflant. « C'est du camping confort, ton truc, Nico ! » Oui et non. Oui dans le sens qu'il est important de bien dormir quand on part plusieurs jours pour marcher, a fortiori en montagne. Si tu veux aller loin, ménage ta monture, disait l'autre. Et d'un point de vue purement pratique, c'est un très bon isolant. Et à 4.000 ou 5.000 mètres d'altitude, ce n'est alors plus qu'une simple question de confort. On n'oubliera pas son duvet (confort -5°C, ça devrait aller, même pour les frileux) et on n'oubliera pas de remercier à nouveau la famille W. pour ce qui est mon précieux compagnon nocturne depuis un an. Niveau vêtements, des sous-vêtements chauds (type Thermolactyl Damart pour les anciens) qu'on gardera bien au sec pendant la journée, devront faire l'affaire.

Pour la journée maintenant. Il ne fait pas (si) froid. En moyenne, ça tourne autour de 15°C dans la journée et 5°C au plus froid de la nuit. Donc un pantalon convertible en short suffira, surtout s'il coupe un peu le vent et sèche rapidement après la pluie. Un t-shirt en polyester qui sèche vite et qui ne prend pas trop les odeurs (très mauvais le coton pour ça!). Des sous-vêtements... ou pas ! Des chaussettes en laine de mérinos sont sans doute le meilleur choix pour tenir chaud et ne pas trop sentir en fin de journée. Un coupe-vent léger mais efficace, une polaire et un poncho complèteront le tout. Si on a la foi, on peut ajouter une serviette en micro-fibres ultra-légère et un morceau de savon respectueux de l'environnement.

Enfin, plein de petites bricoles, mais importantes quand même : une lampe de poche, un stick à lèvres, de la crème solaire, quelques médocs si votre estomac est sensible à l'eau du ruisseau, une montre, un peu de PQ, un couteau suisse, une spork (de spoon-fork en anglais : cuillère d'un côté, fourchette de l'autre), une batterie d'appareil photo supplémentaire, et je crois qu'on est paré, là. En route !

« Mais qu'est-ce qu'on va manger, Nico ? »

Jusqu'à présent, le meilleur petit déj' que j'aie testé pour vous est le suivant : une bouillie d'avoine (ou oatmeal pour les habitués) dans laquelle on mélangera une bonne grosse cuillère de beurre de cacahuètes et la même cuillère de sucre. Les puristes s'arrêteront là, les autres ajouteront des raisins secs ou des morceaux de pommes ou de bananes, voire des morceaux de chocolat. On fera passer le tout avec un bon thé. Le plus simple et le plus léger est de faire infuser des feuilles de coca, en plus c'est bon pour l'altitude.

Pour le déjeuner, certains font le choix de l'oublier. Personnellement, je préfère quand même me mettre un petit sandwich de jambon de poulet dans le ventre. Donc du pain en tranches et du poulet qui a quand même meilleur goût que du jambon normal après quelques jours dans le sac. On finira par une banane, apport énergétique important au moment d'affronter l'après-midi.

Comme snacks (petits trucs à grignoter) on pensera à prendre des noix ou des cacahuètes, un peu de chocolat, des fruits secs. Les barres énergétiques coûtent cher pour un gain similaire aux produits précédemment cités.

Enfin, pour le dîner (en général vers 18h), on va redécouvrir ensemble les nombreux avantages des soupes chinoises. Comment ça ? Je parle de la soupe de nouilles lyophilisée, toute légère, toute compacte (pas celles vendues dans leur bol, bien sûr) et toute pas chère. Et avec ça, sans vous en rendre compte vous allez boire entre 0,5 et 1 litre d'eau, vous allez ingérer des pâtes, parfaits sucres lents pour le lendemain, et vous réchauffer. J'ai récemment fait évoluer la recette avec une bonne idée d'Antoine, le Vendéen du Choquequirao : à mélanger avec une soupe Knorr, histoire d'ajouter un peu de consistance. On enchaînera sur une purée de pommes de terre lyophilisée avec des petits morceaux de saucisses et d'oignons préalablement grillés. Pour finir, on pourra croquer une pomme. Les plus gourmands pourront la faire cuire dans un fond d'eau et faire fondre un peu de chocolat au dernier moment. Perso, ça m'aide à m'endormir !

Donc vous l'aurez compris, il faut qu'on prenne un brûleur et une recharge de gaz. Ça vaut le coup de manger chaud le soir. J'ai là aussi testé pour vous. Et au final, équipement et nourriture, on doit tourner autour d'une quinzaine de kilos sur le dos. On dit que, de manière optimale, il ne faut pas porter plus de 20% de son propre poids. On est un peu au-dessus mais on est jeune et en pleine santé !

Certains trépignent. On y va! On y va !!

Avant de partir, essayons de repérer un peu l'itinéraire. On part donc dans la Cordillère d'Apolobamba. Sur une carte, c'est au Nord-Ouest de La Paz, un peu au-dessus du Lac Titicaca, et quasiment à la frontière avec le Pérou. « Mais comment on fait puisque personne ne parle de cette rando dans les guides touristiques ? » Effectivement, la région est assez reculée et le temps nécessaire pour y aller, randonner et en revenir fait que les touristes normaux n'ont pas le temps de le faire. Heureusement, le Lonely Planet 2010 version anglaise sur la Bolivie en parle. Encore merci à Antoine de me l'avoir déniché.

Ceci dit, on part mais je vous avoue que je ne suis pas complètement rassuré. N'en dites rien à mes parents, ils vont me croire inconscient. Pour couronner le tout, le topo-guide est très succinct et je pars pour cinq jours très loin de tout, très peu de villages sur la route, et tout seul. Enfin, avec vous... mais seul quand même ! Mais pour la beauté du geste, on va y aller et j'ai vu les photos d'Antoine avant de partir : les paysages promettent, la lentille et les miroirs de mon appareil photo vont se faire plaisir.

Premier jour

Journée transport depuis La Paz jusqu'au début du sentier. Et ça commence déjà pas sous les meilleurs auspices. Réveil prévu à 4h30 pour un bus à 6h. Réveil effectif à 5h38 pour un bus toujours à 6h. En une demi-heure, j'ai bouclé mon sac, dit au-revoir à Henning et sauté dans le troisième taxi qui passait et qui me proposait un prix honnête (vraiment j'aime pas les taxis!). Heureusement le chauffeur du bus a aussi eu du mal à se lever. Et dans le vieux bus, on s'entasse, parfois à quatre par banquettes quand on a des enfants, avec les baluchons bariolés typiques de la Bolivie et des dizaines de packs de grosses bouteilles de soda dans l'allée, la soupe ou le plat de riz-patates-poulet qu'on sort à midi, et tout le monde chaudement vêtu, bonnet de laine ou haut chapeau melon vissé sur la tête. Après huit heures de voyage, je vous jure, ça sent le lama là-dedans !

On arrive à Charazani, encore une petite quinzaine ou vingtaine de kilomètres avant Lagunillas où on doit passer notre première nuit. Je demande s'il y a un autre bus qui y va. « Oui », me répond-on. « Demain dans la journée », me précise-t-on. Ah bah flûte ! Et le topo-guide de compléter : « quatre ou cinq heures de marche ». Je me lance, avec l'espoir de voir passer un véhicule et de pouvoir monter dedans. Gagné ! Au bout d'une heure, un camionneur et son fils qui transportent des pierres me prennent. Le premier camion-stop de mon périple américain !

Mon camionero me dépose à Lagunillas, après une heure et demie de route poussiéreuse. Je mets un quart d'heure à trouver le gars de l'auberge. Mais ce mec qui est responsable de l'auberge, n'est en fait pas celui qui a les clés. Et le type qui a les clés n'est visiblement pas responsable de grand chose puisqu'il est rond comme une queue de pelle, qu'il cuve chez lui à l'horizontale et qu'on n'arrive pas à le réveiller. Bref, il me dit que je peux pas rester là dans l'auberge ce soir, qu'il faut que je me trouve une autre solution et qu'il est même prêt à me prêter une tente. C'est pas grave, ce sera ma première nuit sous tente et il n'y aura pas de dernière douche.

Deuxième jour

Je me réveille après onze heures de sommeil d'une traite. Suffisamment rare sous tente pour être évoqué. Après le petit déjeuner de champion évoqué plus haut, c'est parti. Mais, comme le disait Josiane Balasko dans Les Bronzés font du ski : « j'y vais, mais j'ai peur ! ». C'est un peu exagéré mais je sais que le challenge commence là, à Lagunillas à 7h30 ce matin-là.

Juste après le village de Curva (à 8h, il semble qu'on peut réaliser l'exploit de dire bonjour à tout le village !), première fourche, premières interrogations. Par où partir ? Allez, à l'instinct ! Ça m'a généralement toujours réussi. Et hop ! une fois de plus. Il fait beau, un condor est de sortie, la montagne est belle. Mais après 13h, il fait moins beau et on ne voit plus la montagne, drapée dans le brouillard. Très rapidement, c'est de la pluie, puis de la grêle.

Deux glissades dans la dernière descente à cinq minutes d'intervalle me font me retrouver par terre et surtout réaliser que je suis vraiment seul et loin de tout s'il m'arrive quelque chose. Au final, première journée "tranquille", un col à 4.700 m, 6 heures de marche (hors déjeuner), 1500 mètres de dénivelé cumulé. J'arrive dans une jolie vallée, peuplée de viscaches, curieux mix lapin-écureuil (difficile à prendre en photo!). Je plante ma tente au milieu des chevaux, des ânes, des vaches et des lamas, qui semblent tous bien cohabiter. Voir la tête ou le pelage de certains me donne même l'impression qu'ils font un peu plus que cohabiter parfois...

Une fois que la pluie cesse un peu, je rode autour de mon campement d'un soir, histoire de repérer par où repartir le lendemain. Je ne trouve pas la cascade dont parle le topo-guide. Ça me stresse un peu mais tant pis, on verra demain, allons manger ! Et au dodo à 19h.

Troisième jour

Réveil à 5h30 parce que la veille je m'étais levé à 6h et j'avais mis une heure et demi à décoller. Au final, j'en mettrais deux ce matin-là. Je suis de mauvais poil et je viens de renverser la bouilloire de thé ! Je ne sais toujours pas par où partir et je réalise qu'en plus de la cascade, je dois aussi trouver un pont. Dans l'espoir de trouver des indices, je relis le récit de la randonnée d'Antoine (qui était accompagné d'un certain Nico) qui avait fait la rando dans l'autre sens. Depuis la veille, je recherche un « A POIL ! » géant, qu'il avait écrit avec des pierres le mois dernier. C'est pas très fin, mais bon ! Ça me fait rire et je sais que ça me donnera la bonne direction.

Je prends quelques photos, histoire de me détendre et là, je crois apercevoir quelque chose qui y ressemble et juste au-delà se dessine un sentier. Je ne sais pas si c'est de trouver le sentier ou le « A poil ! » qui me réjouit le plus mais je dévale la pente. Je ne retrouve pas l'inscription de pierres, mais je tombe enfin sur cette p... de cascade et ce minuscule petit pont de pierre. La journée peut enfin commencer et le ciel est plus ou moins dégagé.

Je monte vers le premier col de la journée et à regarder par-dessus mon épaule de temps à autre, je n'apercevrais finalement jamais quoi que ce soit qui ressemble à l'inscription d'Antoine. En tout cas, d'avoir cru le voir m'aura bien remotivé. Même la grêle du matin n'y fera rien. Au delà du col de Mil Curvas, j'échoue dans un petit hameau. Je demande mon chemin à un petit vieux qui mâchouille de la coca. Je comprends pas tout, mais repars. Le hameau n'est que vieilles maisons et trucs de plastique qui trainent de partout. Un peu triste dans ce brouillard persistant.

Je me pose dans un autre hameau de mineurs pour déjeuner. Durant ma pause, Panfilo me rend visite. Il me taxe des cacahuètes et un peu de chocolat. D'après Antoine et Nico, c'est monnaie courante ; eux, c'était des médicaments qu'on leur tirait. Panfilo a 18 ans, ça fait quatre ans qu'il travaille à la mine, à casser des cailloux pour trouver de l'or. Il me demande de lui montrer des photos de mon voyage. Il connaît le Machu Picchu ; apparemment il y a déjà été. Avant de se séparer, il m'indique le chemin avec précision et me signale que deux Européens sont passés par là plus tôt dans la matinée.

Sous la pluie, puis la neige, puis la grêle, je finis ma deuxième journée de marche. Aucune vue depuis les deux cols franchis aujourd'hui. Si j'avais pris des photos, j'aurais copié un magnifique monochrome de Whiteman (petite référence au film Les Trois Frères). Comme la veille, je dois monter ma tente avec sac au dos et poncho par-dessus, seule différence, aujourd'hui c'est grêle. Au loin, j'entends les détonations d'une autre mine d'or. Ça me rappelle la visite dans la mine de Kiruna, en Laponie suédoise, deux ans plus tôt.

16h, pendant que chauffe la soupe, j'entame l'apéro : cacahuètes et saucisses grillées à même le Butagaz. Comme j'ai oublié la purée, il faut bien être inventif pour manger ces saucisses qui n'ont pas vraiment de goût. Et à 18h, au lit ! Je m'endors comme la veille dans le brouillard ; je n'ai aucune idée de la direction à prendre pour le lendemain. J'ai encore perdu le chemin un peu avant d'arriver sur le lieu de camp.

Quatrième jour

Je me lève avec l'espoir que, comme la veille, le temps soit un peu dégagé aux premières heures du jour. Que dalle ! On n'y voit rien. On est en plein brouillard et sous la flotte. Aucune idée du relief autour de moi, et encore moins du Nord puisque je n'ai pas vu le soleil depuis deux jours. L'enfer dès le réveil ! Restons philosophe, du moins le temps de savourer le petit déjeuner.

Tente repliée, sac au dos, je vagabonde sous la pluie autour de mon lieu de camp à la recherche du chemin qui m'amènera à la vallée suivante. Au loin, très loin, dans le blanc ambiant, j'aperçois une tâche orange. En un quart de seconde, je sais que c'est la tente des deux Européens dont m'a parlé Panfilo la veille. J'essaye de me repérer pour traverser le vallon et la tourbière et les retrouver de l'autre côté, avant qu'eux-mêmes ne se mettent en route. J'y parviens et, gagné !, ce sont bien deux Tchèques, Daniel et Erika. Ils sont sur un rythme plus lent que moi, mais aujourd'hui, on a prévu la même étape. C'est convenu, on marche ensemble aujourd'hui.

Toute la journée sous la pluie, ou la neige ou la grêle, et un vent de face. On est presque arrivé à destination quand on traverse le village de Hilo Hilo. Il est 15h, on déclare ouverte la pause déjeuner. Mais ce village me désole. Les rues sont grises. Les enfants jouent dans la boue. Les ordures jonchent les rues depuis l'extérieur du village jusque sur la place centrale. Je soupçonne certains habitants de venir faire leurs courses à la petite tienda comme par hasard au même moment qu'Erika et Daniel, histoire de se dire qu'ils ont vécu quelque chose aujourd'hui. Les gens nous observent derrière leurs rideaux ou depuis leur porche. J'ai déjà été confronté à de la misère humaine, mais quand on y ajoute autant de désœuvrement, ça en devient vite déprimant. On se casse !

Cinquième jour

Une très bonne nuit, sans doute parce que pour la première fois, on a repéré le chemin pour le lendemain. On a même droit à un rayon de soleil qui nous laisser espérer une meilleure journée. Espoir vite douché, dans tous les sens du terme...

Au loin, j'aperçois une femme qui libère son troupeau de lamas de leur enclos en pierre. J'observe. Soit c'est très lent comme animal, soit c'est très con. Soit c'est les deux ! Ils mettent des plombes à se lancer. La pauvre femme s'agite et essaye de les activer. L'un semble un peu plus rapide, ou a un peu plus faim que les autres, et se lance dans une direction. Les autres commencent alors à suivre... lentement. Heureusement pour la femme, il est parti dans la bonne direction. Lentement, elle les emmènera paître sur une pente escarpée (pas trop le choix dans le coin) de ces Andes boliviennes.

On franchit un dernier col en forme de challenge, moins d'une heure alors que le topo-guide prévoyait une heure et demi. Il faut bien se donner des sources de satisfaction quand ce qu'on est venu chercher est caché sous les nuages. Il faudra revenir pour les superbes photos ou mieux choisir la saison. Mais vous, je vous suggère d'aller visiter le blog d'Antoine pour voir les photos de la Cordillère d'Apolobamba qu'il a pu prendre, un mois plus tôt, un mois avant le début de la saison des pluies.

Mais je suis heureux d'avoir réussi à relier les deux extrémités de ce trek peu fréquenté et d'avoir bravé des conditions météo qui peuvent vite miner le moral. J'ai aussi la satisfaction d'avoir gravi l'équivalent de cinq Mont-Blanc en terme d'altitude. Et je suis content de réaliser a posteriori que je suis parti bien préparé en termes d'équipement et de nourriture, ni trop ni trop peu, juste ce qu'il fallait.

Retour à La Paz par un bus de nuit. Nuit plus qu'agitée vu l'état du bus et de la route, et glaciale au point que je demande au chauffeur de récupérer mon sac pour en tirer mon duvet. Arrivée à La Paz aux premières lueurs du jour. Pour quelques minutes, la ville est belle, sous cette lumière si particulière, qui fait ressortir les Andes alentour.

Voilà, pour ce long (trop long?) récit. Maintenant vous avez le droit de mettre un commentaire pour me dire que vous avez bien tout lu, ou juste me dire que vous l'auriez volontiers faite avec moi cette rando !



11 décembre 2012

Huayna Potosí

A Cuzco, Antoine nous avait fait rêver, Henning et moi, avec ses photos de son ascension du Huayna Potosí. Une fois Paulo et Lisa rejoints à Puno, l'expédition était dans les tuyaux. Et avec Kati que nous rejoignions à La Paz, nous voici tous les cinq devant les portes d'Altitud 6000, l'agence que nous avait recommandé Antoine. Je ne fais pas de pub généralement, mais là, la qualité de l'accueil et le professionnalisme des guides sont à souligner.

Nous voici donc partis depuis La Paz, pour trois jours : une journée de préparation au camp de base, une journée d'ascension jusqu'au deuxième camp de base, une troisième journée pour l'ascension du sommet et le retour à La Paz. Un sommet à 6.088 m, ça se prépare ! Niveau altitude, c'est bon, ça fait plusieurs semaines qu'on est à plus de 3.000 m, sauf Kati qui revient d'un mois en Amazonie. Niveau physique, l'ascension n'est pas des plus compliquées pour des novices comme nous. Enfin, niveau matériel, l'agence nous prête tout ce qui nous manque : veste et pantalon, chaussures de montagne, guêtres, crampons, piolets, harnais, casque, etc.

La fine équipe s'élance : nous 5 tout excités et déjà émerveillés par la Cordillère Royale qui cerne la ville de La Paz, accompagnés de Juancho (le guide de haute montagne qui a ouvert cette agence), William et Ismael, les deux autres guides, et Tofi la cuisinière. Très bonne ambiance (les portraits mis à jour sont toujours dans la page Photos). L'ascension commence dès La Paz. De 3.600 m, on traverse la banlieue d'El Alto, à 4.100 m, sur l'Altiplano. On arrive au premier camp de base (en dur, je vous rassure!) à 4.850 m.

Là on pratique un peu la marche avec crampons et piolets. On s'essaye même à l'escalade sur glace, mon grand regret de l'Alaska ! Le deuxième jour, petite marche tranquille pour accéder au deuxième camp de base (en dur, toujours). On s'acclimate, on mange très bien, on boit du mate de coca, ce thé à base de feuilles de coca qui aide à gérer les changements d'altitude.

Troisième jour, départ à 1 heure du matin. L'objectif est clair : être au sommet pour le lever du soleil. C'est mal engagé ; on démarre sous la neige et le vent. La progression est lente. Kati finit par renoncer au milieu. Sans doute pas assez acclimatée à l'altitude. On poursuit, toujours sous les nuages. Et soudain, sans doute suffisamment haut, vers 5.700 m, le ciel se troue et on aperçoit les premières lueurs du jour. On est juste au dessus des nuages. Dans la tête, une chanson ne me quitte plus depuis le matin : Un peu plus près des étoiles... C'est émouvant tellement c'est beau ! Une pensée particulière pour Sylvie qui nous a quittés il y a deux ans.


La suite est moins rigolote. Je dois m'arrêter au pied des 6.000, le mal de tête que j'ai depuis le matin ne passe pas. Pire, il s'empire et m'empêche de manger et de boire. Je sens mes forces m'abandonner petit à petit et si je veux pouvoir redescendre, il va bien me falloir garder quelques réserves. J'arrête là et laisse Henning, Paulo et Lisa poursuivre jusqu'au sommet, si proche. Changement de chanson, la descente ressemblera plutôt au premier couplet de Le monde est stone (Starmania) : « J'ai la tête qui éclate, j'voudrais seulement dormir, m'étendre sur l'asphalte, et me laisser mourir... ». Je crois ne jamais avoir eu autant mal à la tête de ma vie, à se la fracasser contre les murs.

Au final, oui, un peu déçu de ne pas avoir pu aller tout là-haut là-haut. Mais content de cette première expérience de haute montagne. Et puis je repars avec ce que j'étais venu chercher : le lever du soleil au dessus des nuages !

Je sais, j'ai un peu de retard dans la rédaction du blog. Très vite, le compte-rendu de la randonnée de cinq jours dans la Cordillère d'Apolobamba dont je rentre tout juste.

5 décembre 2012

Sur les rives du lac Titicaca

Titicaca. Qui durant l'enfance (ou même encore maintenant !) n'a jamais ricané bêtement à l'évocation de ce nom ? Moi je l'avoue, ça me fait toujours rire. Mais d'où vient le nom ? Plusieurs hypothèses, mais il semble que ce soit un terme de langue aymara qui désigne le Roc du Puma sur l'île du Soleil, berceau de la civilisation inca.

Un peu de géographie pour les passionnés. Le lac Titicaca est situé à la frontière entre le Pérou et la Bolivie, dans cette immense région qu'on appelle l'Altiplano (haut plateau), à 3.800 mètres d'altitude. Le plus haut lac navigable du monde est grand comme trois fois le Luxembourg. C'est un lac d'eau douce, alimenté pour moitié par des rivières et pour l'autre par la pluie qui tombe à sa surface. Le niveau du lac reste constant grâce au débit du Río Desaguadero (7,5%) mais surtout à l'évaporation importante (92,5%) due au climat sec de la région.

Depuis Cuzco, Henning et moi avons donc rejoint Puno, notre dernière étape péruvienne, sur les rives du lac. On y a retrouvé Paulo (que nous avions quitté à Lima pour qu'il rejoigne Lisa à Arequipa) et Lisa. Pas grand-chose à faire à Puno si ce n'est d'aller visiter les îles flottantes des Uros. Les Uros sont un peuple indien du lac. Chassés de l'actuelle partie bolivienne du lac par les Incas, ils ont décidé de fuir sur les eaux du lac à bord de mini-îles fabriquées en roseau. Très pratique ! Plus tard, ils se sont rapprochés de l'actuelle Puno, moins sujette aux sécheresses. Quand elles ne sont pas ancrées, il est "facile" de les tirer à l'aide de bateau.

Ces îles sont assez stupéfiantes : une couche de terre immergée de plusieurs mètres recouvertes de roseau, le tout ancré au fond des eaux peu profondes des bords du lac. C'est assez surprenant, mais c'est la couche de terre qui permet à l'ensemble de flotter. En moyenne, elles font 500 m² et abritent cinq familles dans des petites huttes en paille. Il faut 8 mois pour fabriquer une île, sachant qu'elles ont une espérance de vie d'une quarantaine d'années. Le revêtement en roseau est renouvelé tous les quinze jours, par ajout de nouveaux roseaux, les anciens se dégradant et s'incorporant dans la couche de terre.

Vous allez être un peu déçus, mais ce ne sont plus les indiens Uros qui habitent les îles. La dernière représentante de ce peuple s'est éteinte en 1959. Mais les indiens Aymaras ont "récupéré" les îles et les font vivre et visiter aujourd'hui. Environ 2.000 personnes y habitent ; la plupart des hommes vont travailler à Puno et les femmes restent pour faire visiter et vendre les produits de leur artisanat. Il y a un petit côté Disneyland à tout ça, mais c'est quand même intéressant de comprendre comment les Uros vivaient à l'époque et fabriquaient leurs îles.

On a ensuite poursuivi notre route. Passage de frontière : on quitte le Pérou. Alors que j'ai vraiment apprécié toutes les randonnées dans les Andes péruviennes, j'ai trouvé les Péruviens très peu aimables. Je n'en fais pas une généralité parce que je ne suis resté que trois semaines, sans vrai contact sur place. Mais j'ai été surpris de rencontrer ce trait de caractère (peu aimable, peu souriant, peu d'humour) quasi systématiquement et quelques soient les endroits que j'ai traversés. À tous ceux qui m'ont dit que j'allais adorer le Pérou, dites-moi ce que j'ai loupé, s'il vous plaît !

Première étape bolivienne : l'île du Soleil. C'est la plus grande île du lac Titicaca. Quelques communautés humaines y sont installées (environ 5.000 personnes), mais l'essentiel de l'île est sauvage. Paysage de steppe, rocailleux, plutôt pelé, peu de végétation, c'est très beau. On en a fait le tour sur deux jours, avec une nuit sous tente au centre de l'île, point culminant duquel on a pu assister au coucher de soleil, au lever de lune, au coucher de lune et enfin au lever de soleil. Sur les photos, vous verrez le lever de lune puis le lever de soleil du lendemain, le tout devant le lac et avec la Cordillère Royale enneigée en arrière plan. La nature est vraiment bien belle !

Enfin, on s'est dirigé vers La Paz. Depuis le lac, on fait route sur l'Altiplano toujours, jusqu'à arriver à El Alto, la banlieue de La Paz perchée à 4.100 mètres d'altitude. Et là on plonge brusquement dans le chaudron de La Paz, 500 mètres de dénivelé plus bas. On y a retrouvé mon amie Kati (que vous commencez à identifier maintenant) pour partir tous les cinq en expédition. Au programme, l’ascension du Huayna Potosí, 6.088 m, le plus haut pic identifiable sur les photos de la Cordillère Royale.