7 octobre 2012

La vie à San Agustín

… elle commence tôt le matin. Lever à 6 heures, avec le soleil. Pendant que le petit déjeuner mijote sur le poêle à bois, chacun vaque à ses premières occupations de la journée. Les uns vont couper de grandes herbes pour nourrir la vache et en profiter pour la traire. D'autres vont remplir d'eau les bacs servant à nettoyer le café récolté les jours précédents. D'autres encore vont donner à manger aux cochons, aux poules, au dindon, aux lapins ou aux cochons d'Inde. Les derniers se douchent rapidement avant de partir à l'école.

J'ai atterri dans une finca (une ferme) dont on pourrait aisément faire un jeu de sept familles. Dans la maison principale vivent le père, la mère, le fils, une des sept filles et trois petits enfants (dont les parents vivent à Cali). Trois autres filles vivent avec mari et enfants dans d'autres maisons alentours. Et tout ce petit monde travaille plus ou moins ensemble sur les parcelles familiales.

Au petit déjeuner, généralement un caldo (soupe de morceaux de bananes plantain, de pommes de terre, d'arracacha et de yuca – tubercules également) accompagne une assiette de riz et de haricots rouges et de patacones (bananes plantain non mûres frites puis écrasées en galette). De quoi démarrer la journée bien calé ! Et ce serait le comble si nous n'avions pas de café pour faire passer tout ça. Au boulot maintenant !

L'activité principale de la ferme est la culture du café. La plupart des journées sont occupées à le récolter. Et ce n'est pas mince affaire. Nous sommes ici en montagnes, et les Andes, c'est pas le Massif central (malgré tout le respect que j'ai pour lui, Marie!). Les pentes escarpées rendent la tâche difficile. Nous sommes là, avec nos cocos (paniers de plastique) accrochés à la taille, à détacher méticuleusement les grains mûrs (rouges ou orangés) des branches des arbres à café, tout en laissant les grains verts. Sur une même branche, tous les grains ne murissent pas à la même vitesse. Dans la saison, plusieurs passages sur une même parcelle sont donc nécessaires. Comme quoi ! La nature n'est pas toujours si bien faite.

Un bon cafetero peut récolter plus de 100 kilos de café par 7 heures de travail journalier. Un apprenti comme moi... un peu moins ! Mais je pense au moins l'équivalent de mon modeste poids en grains de café. C'est qu'il en faut de l'expérience pour repérer les grains rouges (daltoniens, s'abstenir) dans l'arbuste particulièrement feuillu (toujours ce principe de la végétation tropicale!), pour les arracher promptement tout en laissant les petits frères, et passer au rameau suivant sans perdre l'équilibre sur ces pentes escarpées. Et même si le coco ne se remplit pas aussi vite que voulu, on a le subtile plaisir de voir le rouge disparaître petit à petit de cet arbre d'une taille moyenne de deux mètres. Et bien entendu, vu la topographie du terrain et la maturation inégale des grains de café, il est impossible de confier le travail à une machine.

Et moi qui pensait naïvement que la résistance des grains à s'arracher de leur branche, l'élasticité de ces mêmes branches qui peuvent faire très mal quand on ne maîtrise pas le lâcher, et le terrain en pente étaient les seules difficultés... Que nenni ! Il faut à cela ajouter les moustiques, moucherons et autres créatures qui piquent fort et qui font mal, et qui chaque jour semblent gouter la chair humaine avec le même appétit et le même amour sadique. Donc on travaille en pantalon et en t-shirt manches longues, et on passe la tête par l'encolure d'un autre t-shirt pour se protéger nuque, cou et bas du visage. Mais il fait pas chaud là-dessous ?! Bah si ! D'autant que le soleil cogne fort et dès le petit matin. Je crois que c'est une question d'être près de l'équateur. Je n'ai jamais autant aimé voir approcher la pluie. Avec 20°C quels que soient le temps ou la saison, il n'est pas difficile d'imaginer que je préfère la pluie au soleil de plomb pour travailler. Les locaux sont moins fans de l'humidité : ils ont froid.

À 4 heures pétantes, on pose définitivement le coco jusqu'au lendemain. Vient alors le moment où on déverse les sacs de 50 kg dans un entonnoir géant. La tonne de grains du jour va bientôt passer au moulin. But de l'opération : séparer la bogue rouge des deux petites fèves blanchâtres et gluantes qu'elle renfermait. Le petit moulin a beau être vaillant, il aura du mal à tout avaler avant la tomber de la nuit vers 18h quelle que soit la saison : on est quasiment à l'équateur. Le lendemain matin, on plongera les fèves gluantes dans un bac d'eau en contre-bas. Après plusieurs bains successifs et un brassage permanent, elles vont perdre leur aspect visqueux. À chaque fois, tout ce qui flotte ira joyeusement rejoindre les bogues rouges sur leur tas de compost.

En une ultime tentative d'éliminer les petites cochonneries qui flottent, on passera le tout au tamis. Viendra alors le moment de transporter à la brouette les fèves de café (qui n'ont alors aucun goût, j'ai testé pour vous!) vers le secadero, la serre qui permettra de faire sécher les fèves en cinq ou six jours. Les fèves retrouveront alors leur sac de 50 kg pour rejoindre la coopérative. On en mettra de côté pour la consommation personnelle de la ferme. Ces petites fèves si précieuses vont passer un (mauvais) quart d'heure dans une grande marmite, sur le feu : elles en ressortiront littéralement carbonisées. Dernière opération avant de déguster : on passe les fèves noires au moulin. En ressort alors la petite poudre délicieusement odorante indissociable de nos petits matins ensommeillés. Une fois dans la tasse, le café s'appellera tinto.


Mais comme on n'a pas besoin de tous être là pour ces différentes opérations, les autres se répartiront les soins à donner aux différents animaux de la ferme : la vache qui a donné vie à un petit taurillon et que nous trayons manuellement, les poules et leurs petits poussins, le dindon, les cochons dont l'une des truies vient d'avoir une portée de treize petits porcelets (neuf survivront), les lapins avec des naissances là encore (c'est vraiment la ferme des sept familles!), les cochons d'Inde, les chiens, le chat et les petits perruches.

Ensuite ce sera à nous de passer à table ! Dans la cuisine, l'horloge où le pinson chante pour sonner 18 heures (certains auront reconnu la version colombienne de leur horloge Nature et Découverte!) indique qu'il est bientôt l'heure du souper. Tout comme le déjeuner, le dîner est souvent composé de riz, de haricots rouges, d'un petit morceau de viande bouillie. Une petite soupe peut surgir à tout instant sans réellement pouvoir l'anticiper et un bon morceau de yuca frite peut aussi amener un large sourire sur le visage de l'humble rédacteur de ce blog. À part les avocats qui tombent des arbres alentours plus vite qu'on ne peut en consommer, on mange très peu de verdure. Ça reste un produit de luxe. À l'inverse, les fruits tropicaux qui font exploser l'empreinte carbone de l'Occident sont ici très banals. Il pleut des goyaves et on mange des bananes (plantain ou normales) par régime. On trouve aussi des tomates en arbre, des limas, des lulos, des cholupas, des granadillas, autant de fruits tropicaux difficiles à décrire mais croyez-moi, c'est un régal ! On en fait de délicieux jus de fruit qui viennent en général rejoindre la table ou on les mange tout au long de la journée en fonction des rencontres. En effet, les plantations de café sont truffées d'autres cultures pour permettre à la terre de conserver une acidité adéquate. On se sert sur place. Et pour faire une bonne pause durant la journée, on va trouver une canne à sucre. Un coup de machette à la base, un autre pour retirer le plumeau supérieur, reste la tige dure qu'on épluchera et débitera en petits morceaux à mastiquer : un délicieux jus sucré se répand alors en bouche.

Enfin, pour couronner une quinzaine bien remplie, un petit tremblement de terre. Dimanche midi, à l'heure de la messe dans le centre commercial de Bogotá (cf. article précédent), j'étais tranquillement installé dans le canapé où je finissais de regarder un reportage sur le panda de Chine avec les deux plus jeunes. Je venais de saisir El Principito (Le Petit Prince, en version espagnole) quand le canapé s'est mis alors à trembler. Pour être plus précis, ce sont le sol et le mur adjacent qui sont à l'origine de cet tremblement. Sans trop réaliser ce qui se passe, et comme personne dans la maison ne semble s'affoler, l'idée d'un tremblement de terre m'effleure mais je lui préfère stupidement l'explication que quelqu'un est en train de marcher à l'étage supérieur, faisant ainsi bouger les cloisons. Une heure s'écoule (déjeuner inclus) avant que l'une des filles qui habite Cali réussisse à appeler pour s'inquiéter de notre état. C'est alors qu'on prend tous conscience de ce qu'on a tous ressenti individuellement sans se l'avouer. On allume alors la télévision : un séisme de 7,1 sur l'échelle de Richter (quand même!) et un épicentre dans la vallée de l'autre côté de la montagne (les deux premières heures les médias annonceront même l'épicentre à San Agustín!). Malgré la force du mouvement sismique, miraculeusement très peu de dégâts sont à constater dans la région. Et nous avons repris le travail comme si de rien était.

Voilà. La journée (et ce long article!) se termine vers 21h, après avoir regardé les nouvelles puis quelques épisodes de Dragon Ball dont est particulièrement fan la famille. Ainsi s'achève quinze jours dans une plantation de café. J'aurais eu quand même l'occasion de sortir une journée pour visiter un peu les alentours avec Cynthia, une Française, et Kati que je retrouvais à San Agustín, après l'avoir laissée le mois dernier au Panama. Je quitte mes sept familles et remonte vers le Nord. Direction la région de Manizales où je vais à nouveau faire du wwoofing pendant une dizaine de jours.



6 commentaires:

  1. Je ne sais pas quel genre de ferme tu vas aller voir un peu plus au nord (près de Manizales).
    Par contre, le récit, toujours très vivant et avec une pointe d’humour, nous présente ton séjour dans le café comme particuliers. De plus, c’est très intéressant de savoir comment le café se transforme depuis l’arbre jusque dans nos tasses … à café.
    En a parte, la 2ème photo du 7 octobre me fait penser à un tableau du Douanier Rousseau ou d’un autre peintre dit « naïf ». C’est une très bonne photo.
    Merci encore de nous avoir écrit ce long récit, qui est finalement lu assez rapidement car on est pris par ton écriture.
    A bientôt dans ta nouvelle ferme.

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  2. J'aime beaucoup ton nouveau jeu des 7 familles!! C'est trop mignon de voir tous ces bébés animaux et les photos sont géniales et montrent combien tu apprécie ce voyage!! Ca fait plaisir!
    Ton expérience de la canne à sucre me rappelle mes souvenirs de Guyane. C'est délicieux et pas écœurant comme on pourrait le penser. Ah si seulement tu pouvais nous en envoyer!! Est ce qu'il y a des mygales en Colombie? Gros bisous de nous 3.

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  3. Passionnant, ton récit au quotidien dans la plantation de café.
    Pas de photos de moustiques ? !!!
    Voit-on la ferme sur une des photos ?
    Et maintenant que vas-tu faire... ou cueillir ?
    Bonne continuation, sans les moustiques !
    1000 bises

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  4. @PP: je vois pas trop de quelle photo tu parles, mais je fais confiance à ton coup d'oeil.
    @Emeline: je n'ai pas vu de mygales depuis le nord du Guatemala. et franchement, je suis pas pressé d'en recroiser :)
    @Mina: non, pas de photo de moustiques. j'avoue que je suis plus génocidaire que photo-reporter quand je les croise! on ne voit pas la ferme où j'étais sur les photos parce que difficile à prendre du recul. mais celles qu'on voit sont similaires. enfin dans cette nouvelle ferme, on fait... non, patientez jusqu'au prochain article! :)

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  5. rahhh que de suspense, vite la suite :)

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