… elle commence tôt le matin. Lever à 6
heures, avec le soleil. Pendant que le petit déjeuner mijote sur le
poêle à bois, chacun vaque à ses premières occupations de la
journée. Les uns vont couper de grandes herbes pour nourrir la vache
et en profiter pour la traire. D'autres vont remplir d'eau les bacs
servant à nettoyer le café récolté les jours précédents.
D'autres encore vont donner à manger aux cochons, aux poules, au
dindon, aux lapins ou aux cochons d'Inde. Les derniers se douchent
rapidement avant de partir à l'école.
J'ai atterri dans une finca (une
ferme) dont on pourrait aisément faire un jeu de sept familles. Dans
la maison principale vivent le père, la mère, le fils, une des sept
filles et trois petits enfants (dont les parents vivent à Cali).
Trois autres filles vivent avec mari et enfants dans d'autres maisons
alentours. Et tout ce petit monde travaille plus ou moins ensemble
sur les parcelles familiales.
Au petit déjeuner, généralement un
caldo (soupe de morceaux de bananes plantain, de pommes de
terre, d'arracacha
et de yuca – tubercules également) accompagne une assiette
de riz et de haricots rouges et de patacones (bananes plantain
non mûres frites puis écrasées en galette). De quoi démarrer la
journée bien calé ! Et ce serait le comble si nous n'avions
pas de café pour faire passer tout ça. Au boulot maintenant !
L'activité principale de la ferme est
la culture du café. La plupart des journées sont occupées à le
récolter. Et ce n'est pas mince affaire. Nous sommes ici en
montagnes, et les Andes, c'est pas le Massif central (malgré tout le
respect que j'ai pour lui, Marie!). Les pentes escarpées rendent la
tâche difficile. Nous sommes là, avec nos cocos (paniers de
plastique) accrochés à la taille, à détacher méticuleusement les
grains mûrs (rouges ou orangés) des branches des arbres à café,
tout en laissant les grains verts. Sur une même branche, tous les
grains ne murissent pas à la même vitesse. Dans la saison,
plusieurs passages sur une même parcelle sont donc nécessaires.
Comme quoi ! La nature n'est pas toujours si bien faite.
Un bon cafetero peut récolter
plus de 100 kilos de café par 7 heures de travail journalier. Un
apprenti comme moi... un peu moins ! Mais je pense au moins
l'équivalent de mon modeste poids en grains de café. C'est qu'il en
faut de l'expérience pour repérer les grains rouges (daltoniens,
s'abstenir) dans l'arbuste particulièrement feuillu (toujours ce
principe de la végétation tropicale!), pour les arracher
promptement tout en laissant les petits frères, et passer au rameau
suivant sans perdre l'équilibre sur ces pentes escarpées. Et même
si le coco ne se remplit pas aussi vite que voulu, on a le
subtile plaisir de voir le rouge disparaître petit à petit de cet
arbre d'une taille moyenne de deux mètres. Et bien entendu, vu la
topographie du terrain et la maturation inégale des grains de café,
il est impossible de confier le travail à une machine.
Et moi qui pensait naïvement que la
résistance des grains à s'arracher de leur branche, l'élasticité
de ces mêmes branches qui peuvent faire très mal quand on ne
maîtrise pas le lâcher, et le terrain en pente étaient les seules
difficultés... Que nenni ! Il faut à cela ajouter les
moustiques, moucherons et autres créatures qui piquent fort et qui
font mal, et qui chaque jour semblent gouter la chair humaine avec le
même appétit et le même amour sadique. Donc on travaille en
pantalon et en t-shirt manches longues, et on passe la tête par
l'encolure d'un autre t-shirt pour se protéger nuque, cou et bas du
visage. Mais il fait pas chaud là-dessous ?! Bah si !
D'autant que le soleil cogne fort et dès le petit matin. Je crois
que c'est une question d'être près de l'équateur. Je n'ai jamais
autant aimé voir approcher la pluie. Avec 20°C quels que soient le
temps ou la saison, il n'est pas difficile d'imaginer que je préfère
la pluie au soleil de plomb pour travailler. Les locaux sont moins
fans de l'humidité : ils ont froid.
À 4 heures pétantes, on pose définitivement
le coco jusqu'au lendemain. Vient alors le moment où on
déverse les sacs de 50 kg dans un entonnoir géant. La tonne de
grains du jour va bientôt passer au moulin. But de l'opération :
séparer la bogue rouge des deux petites fèves blanchâtres et
gluantes qu'elle renfermait. Le petit moulin a beau être vaillant,
il aura du mal à tout avaler avant la tomber de la nuit vers 18h
quelle que soit la saison : on est quasiment à l'équateur. Le
lendemain matin, on plongera les fèves gluantes dans un bac d'eau en
contre-bas. Après plusieurs bains successifs et un brassage
permanent, elles vont perdre leur aspect visqueux. À chaque fois,
tout ce qui flotte ira joyeusement rejoindre les bogues rouges sur
leur tas de compost.
En une ultime tentative d'éliminer les
petites cochonneries qui flottent, on passera le tout au tamis.
Viendra alors le moment de transporter à la brouette les fèves de
café (qui n'ont alors aucun goût, j'ai testé pour vous!) vers le
secadero, la serre qui permettra de faire sécher les fèves
en cinq ou six jours. Les fèves retrouveront alors leur sac de 50 kg
pour rejoindre la coopérative. On en mettra de côté pour la
consommation personnelle de la ferme. Ces petites fèves si
précieuses vont passer un (mauvais) quart d'heure dans une grande
marmite, sur le feu : elles en ressortiront littéralement
carbonisées. Dernière opération avant de déguster : on passe
les fèves noires au moulin. En ressort alors la petite poudre
délicieusement odorante indissociable de nos petits matins
ensommeillés. Une fois dans la tasse, le café s'appellera tinto.
Mais comme on n'a pas besoin de tous être là
pour ces différentes opérations, les autres se répartiront les
soins à donner aux différents animaux de la ferme : la vache
qui a donné vie à un petit taurillon et que nous trayons
manuellement, les poules et leurs petits poussins, le dindon, les
cochons dont l'une des truies vient d'avoir une portée de treize
petits porcelets (neuf survivront), les lapins avec des naissances là
encore (c'est vraiment la ferme des sept familles!), les cochons
d'Inde, les chiens, le chat et les petits perruches.
Ensuite ce sera à nous de passer à
table ! Dans la cuisine, l'horloge où le pinson chante pour
sonner 18 heures (certains auront reconnu la version colombienne de
leur horloge Nature et Découverte!) indique qu'il est bientôt
l'heure du souper. Tout comme le déjeuner, le dîner est souvent
composé de riz, de haricots rouges, d'un petit morceau de viande
bouillie. Une petite soupe peut surgir à tout instant sans
réellement pouvoir l'anticiper et un bon morceau de yuca frite peut
aussi amener un large sourire sur le visage de l'humble rédacteur de
ce blog. À part les avocats qui tombent des arbres alentours plus
vite qu'on ne peut en consommer, on mange très peu de verdure. Ça
reste un produit de luxe. À l'inverse, les fruits tropicaux qui font
exploser l'empreinte carbone de l'Occident sont ici très banals. Il
pleut des goyaves et on mange des bananes (plantain ou normales) par
régime. On trouve aussi des tomates en arbre, des limas, des
lulos, des cholupas, des granadillas, autant de
fruits tropicaux difficiles à décrire mais croyez-moi, c'est un
régal ! On en fait de délicieux jus de fruit qui viennent en
général rejoindre la table ou on les mange tout au long de la
journée en fonction des rencontres. En effet, les plantations de
café sont truffées d'autres cultures pour permettre à la terre de
conserver une acidité adéquate. On se sert sur place. Et pour faire
une bonne pause durant la journée, on va trouver une canne à sucre.
Un coup de machette à la base, un autre pour retirer le plumeau
supérieur, reste la tige dure qu'on épluchera et débitera en
petits morceaux à mastiquer : un délicieux jus sucré se
répand alors en bouche.
Enfin, pour couronner une quinzaine bien
remplie, un petit tremblement de terre. Dimanche midi, à l'heure de
la messe dans le centre commercial de Bogotá (cf. article
précédent), j'étais tranquillement installé dans le canapé où
je finissais de regarder un reportage sur le panda de Chine avec les
deux plus jeunes. Je venais de saisir El Principito (Le Petit
Prince, en version espagnole) quand le canapé s'est mis alors à
trembler. Pour être plus précis, ce sont le sol et le mur adjacent
qui sont à l'origine de cet tremblement. Sans trop réaliser ce qui
se passe, et comme personne dans la maison ne semble s'affoler,
l'idée d'un tremblement de terre m'effleure mais je lui préfère
stupidement l'explication que quelqu'un est en train de marcher à
l'étage supérieur, faisant ainsi bouger les cloisons. Une heure
s'écoule (déjeuner inclus) avant que l'une des filles qui habite
Cali réussisse à appeler pour s'inquiéter de notre état. C'est
alors qu'on prend tous conscience de ce qu'on a tous ressenti
individuellement sans se l'avouer. On allume alors la télévision :
un séisme de 7,1 sur l'échelle de Richter (quand même!) et un
épicentre dans la vallée de l'autre côté de la montagne (les deux
premières heures les médias annonceront même l'épicentre à San
Agustín!). Malgré la force du mouvement sismique, miraculeusement
très peu de dégâts sont à constater dans la région. Et nous
avons repris le travail comme si de rien était.
Voilà. La journée (et ce long article!) se
termine vers 21h, après avoir regardé les nouvelles puis quelques
épisodes de Dragon Ball dont est particulièrement fan la famille.
Ainsi s'achève quinze jours dans une plantation de café. J'aurais
eu quand même l'occasion de sortir une journée pour visiter un peu
les alentours avec Cynthia, une Française, et Kati que je retrouvais à San Agustín, après
l'avoir laissée le mois dernier au Panama. Je quitte mes sept
familles et remonte vers le Nord. Direction la région de Manizales
où je vais à nouveau faire du wwoofing pendant une dizaine
de jours.
Je ne sais pas quel genre de ferme tu vas aller voir un peu plus au nord (près de Manizales).
RépondreSupprimerPar contre, le récit, toujours très vivant et avec une pointe d’humour, nous présente ton séjour dans le café comme particuliers. De plus, c’est très intéressant de savoir comment le café se transforme depuis l’arbre jusque dans nos tasses … à café.
En a parte, la 2ème photo du 7 octobre me fait penser à un tableau du Douanier Rousseau ou d’un autre peintre dit « naïf ». C’est une très bonne photo.
Merci encore de nous avoir écrit ce long récit, qui est finalement lu assez rapidement car on est pris par ton écriture.
A bientôt dans ta nouvelle ferme.
J'aime beaucoup ton nouveau jeu des 7 familles!! C'est trop mignon de voir tous ces bébés animaux et les photos sont géniales et montrent combien tu apprécie ce voyage!! Ca fait plaisir!
RépondreSupprimerTon expérience de la canne à sucre me rappelle mes souvenirs de Guyane. C'est délicieux et pas écœurant comme on pourrait le penser. Ah si seulement tu pouvais nous en envoyer!! Est ce qu'il y a des mygales en Colombie? Gros bisous de nous 3.
Passionnant, ton récit au quotidien dans la plantation de café.
RépondreSupprimerPas de photos de moustiques ? !!!
Voit-on la ferme sur une des photos ?
Et maintenant que vas-tu faire... ou cueillir ?
Bonne continuation, sans les moustiques !
1000 bises
@PP: je vois pas trop de quelle photo tu parles, mais je fais confiance à ton coup d'oeil.
RépondreSupprimer@Emeline: je n'ai pas vu de mygales depuis le nord du Guatemala. et franchement, je suis pas pressé d'en recroiser :)
@Mina: non, pas de photo de moustiques. j'avoue que je suis plus génocidaire que photo-reporter quand je les croise! on ne voit pas la ferme où j'étais sur les photos parce que difficile à prendre du recul. mais celles qu'on voit sont similaires. enfin dans cette nouvelle ferme, on fait... non, patientez jusqu'au prochain article! :)
Trop bien, merci Nico !!!
RépondreSupprimerrahhh que de suspense, vite la suite :)
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