12 juin 2012

« Maintenant l'aventure commence ! »

C'est avec cette phrase que je quitte Victor et Reyna, qui m'ont hébergé une semaine à Agua Prieta, à la frontière mexicaine. Non seulement parce que je vais faire mes premiers pas seul au Mexique mais surtout parce que ce jour-là, pour la première fois depuis janvier, je pars sans savoir où je vais atterrir le soir. Tout ce que je sais c'est que ce bus va m'envoyer à Chihuahua, ville tentaculaire d'un million d'habitants, où le camping n'est pas une option. Je suis sensé être hébergé par Enrique, mais je n'ai plus de nouvelles de sa part depuis deux jours. Je pars donc à l'aveuglette. Arrivé à la gare routière, à la nuit tombante, pas de portable, pas d'internet, et aucun téléphone public qui fonctionne. De toute façon, je n'ai même pas le numéro d'Enrique sur moi, uniquement celui de Victor. Seul espoir : qu'Enrique m'ait envoyé un mail dans la journée en réponse aux miens. Taxi, centre ville, cyber-café ouvert tard (ouf!) et au bout de deux heures et demi me voilà enfin avec mes hôtes. Première expérience en pleine "nature" mexicaine riche en émotion.

Deux jours tranquilles à Chihuahua. Adorables, Enrique et Adria me font découvrir leur ville le soir en rentrant du boulot et rencontrer leurs amis. Rien de mieux pour encore progresser en espagnol et découvrir ce nouveau pays, cette nouvelle culture.

Puis je prends le train de Chihuahua, en direction de Los Mochis, dans l'Etat de Sinaloa (du même nom que le cartel...) sur la côte du Golfe de Californie. Mais avant d'arriver à destination, je m'arrête 48 heures à Creel, charmante bourgade à l'entrée de ce que les Mexicains nomment las Barrancas del Cobre (le Canyon du Cuivre). Un peu d'histoire : les Espagnols en découvrant ce canyon aux couleurs trop vertes pour être honnêtes ont cru qu'ils avaient découvert des mines de cuivre. L'histoire et la géologie prouveront qu'ils se sont trompés mais le nom est resté. Et en espagnol, c'est au pluriel parce qu'il s'agit non pas d'un seul, mais bien d'un ensemble de six canyons reliés entre eux.

Je me réjouissais de ce que beaucoup m'avaient présenté comme une option "touristique" à mon itinéraire. J'en étais sûr, j'allais rencontrer des compagnons de route ! Ce ne sera pas pour tout de suite ; l'auberge de Creel est vide. Par la même occasion, je dois aussi oublier la possibilité de partager avec d'autres une excursion avec un guide. Mais vous verrez quelques photos de Creel.


Je reprends mon petit train. Ce train est un vrai trait d'union. Si vous prenez une carte, vous ne verrez rien que des petits villages (quand on les voit !) et aucune route. C'est le vide, que seul traverse une ligne de chemin de fer. El Chepe (pour Chihuahua Pacifico) est le seul moyen de transport longue distance (l'hélico n'est pas une alternative ici). Du coup, ce train est un vrai village miniature. On retrouve tout le monde : la grand-mère et son balluchon, l'idiot du village, le petit couple et leurs deux enfants, les jeunes qui ricanent bêtement quand les filles passent, le paramilitaire avec sa mitraillette en bandoulière, les petits vieux en jeans, chemise à carreaux, santiags et chapeau de cowboy, et les femmes en habit traditionnel de la tribu indienne des Tamahumaras. Tout le monde se connaît ou presque. Moi je connais personne et pour tout le monde je suis le gringo (terme légèrement péjoratif qui désigne les Américains). Et ça jacasse, ça grignote, ça écoute de la musique tout fort, ça déjeune sur le quai de la gare où on s'arrête un moment à l'heure du déjeuner. Bon enfant. Ça me change de la tension sourde qui régnait à Chihuahua.

À nouveau pour 48 heures, je m'arrête à Bahuichivo (vous en faites pas, moi aussi j'ai du mal avec les noms propres). L'objectif est d'arriver à Urique, au fond du canyon du même nom. Cela fait plusieurs jours que je cherche sans trop de succès comment m'y rendre. Par des forums, j'avais juste vaguement entendu parler d'un vieux bus scolaire. Vous savez un de ces célèbres school-bus jaunes nord-américains. Mais les messages datent de plus de deux ans et s'il n'y a pas de bus, le train sera reparti sans moi et je serai bloqué deux jours à Bahuichivo où il n'y a pas d'infrastructure hôtelière. Donc quand je vois mon antique school-bus à la sortie de la gare, je suis rassuré. Enfin à moitié, parce que sur les mêmes forums, se disait que la route n'avait rien à envier à une descente aux enfers, à base de chemin de terre sur cinquante bornes, à-pics sans glissières de sécurité, taupinière, dos d'âne, nids de poules et autres obstacles aux noms à base d'animaux.

Le petit bus, repeint en blanc pour la circonstance, est plein à craquer. Les bagages entassés comme on peut. Certains debout dans l'allée centrale. Les enfants sur les genoux des parents. Même le chauffeur a ses enfants assis sur une espèce de planchette adossés à la fenêtre de leur conducteur de père. J'ai cru à l’imminence d'un sacrifice humain au départ, mais non, ils sont arrivés vivants … eux aussi !

Le bus s'ébranle. Là tout le monde se cramponne. Un peu comme dans les montagnes russes. L'adrénaline commence à monter, en prévision du danger imminent. Mais j'avoue être un peu déçu. Les à-pics tant attendus ne sont que de petits ravins. La vue n'a rien de magique puisque la région, malgré son aspect légèrement désertique, est boisée de pins, arbustes et autre végétation sèche. Et la route est certes mauvaise mais ce sont surtout les amortisseurs de compétition qui nous font faire des bons à chaque trou dans la chaussée.

Seules deux petites "frayeurs". La première, classique, c'est quand le chauffeur se met au point mort dans les descentes alors qu'on est sensé aller droit vers un canyon ! La deuxième ce fut quand le bus a pilé, au détour d'un virage à angle mort. Une ambulance arrêtée au pire endroit possible. Non pas d'accident mais c'est tout le bus qui a failli se retrouver dans l'ambulance. Pourquoi ? Parce que les ambulanciers ne sont pas des princesses ; ils ont besoin d'uriner de temps en temps. Que ce soit dans un virage ou pas.

À mi-chemin, le bus s'arrête. Chacun se demande un peu pourquoi, où, comment. Tout simplement, c'est la mi-temps, changement de côté : les routes se séparent. Avec quelques uns, il me faut changer de bus. Mais il y a du flottement dans l'air, comme si tous ces habitués redécouvraient à chaque voyage qu'il faut changer à mi-chemin. Des hommes en armes et treillis sont également là. Je fais comme si tout ça était très naturel et évite de me poser trop de question. La seule que j'aurai vraiment concernera leur âge : les deux, là, avec leur fusil-mitrailleur, je parie qu'ils ont pas 20 ans. L'autre avec son M16 paraît plus âgé. Ils discutent autour du chargement, visiblement problématique, d'un pick-up.

Au volant d'un autre vieux school-bus blanc, notre nouveau chauffeur quitte le village qui répondait au nom de Mesa de Arturo. Mentalement, je traduis "Table d'Arthur", mais je n'aurais pas le temps de me poser plus de questions historico-culturo-chevaleresques sur l'origine de ce nom. Là-bas, oui, j'ai bien vu. Alors que les collinettes se succèdent depuis tout à l'heure, celle que je vois paraît la dernière sur l'horizon, le vide après. Et plus on se rapproche, plus le vide se confirme. Et là, d'un coup, tout se dévoile ou plutôt se dérobe : un trou gigantesque. On m'avait pourtant prévenu : « Tu verras, c'est plus grand que le Grand Canyon ». En bon Parisien, je les avais pris pour de bons Marseillais ! Tout s'accélère, on s'approche du vide, on le longe maintenant. Il reste 20 kilomètres ; ce seront 20 kilomètres entre paroi et à-pic. 1.900 mètres de dénivelé et tout en bas, le petit village d'Urique. Et comme sur toutes les routes du monde, le chauffeur téléphone quand il ne discute pas avec le plus proche passager, bien sûr en le regardant régulièrement (c'est pas poli sinon). Mais je ne le blâme pas, celui-ci ne se met pas au point mort dans les descentes.


A bord de mon petit bus blanc, l'adrénaline monte sérieusement, inversement proportionnelle à la pente en face de nous. Bien que ce bus ait dû rentrer en service sous la présidence de Franklin Roosevelt, je choisis de me rassurer en me disant que les Etats-Unis chérissent leurs enfants et l'éducation. Et qu'au pays de l'obsolescence programmée, ils ont dû faire une exception pour les bus scolaires. Rassuré sur sa robustesse, c'est maintenant moi le gamin, tout excité par la vue et les circonstances un rien exceptionnelles.

Arrivé à Urique, à nouveau personne à l'auberge. Pas même le gérant, cette fois. Je pose mes affaires et file manger burritos et patate cuite à la braise. Tout ça m'avait creusé l'appétit. A mon retour, le gérant m'accueille : je serai seul pour les deux jours. Mais c'est pas grave, l'auberge est en fait un ensemble de petites maisonnettes, au calme à l'extérieur du village. Rustique, minimaliste, mais très chaleureux.

A propos de chaleur, le lendemain, il fait un bon 45°C à l'ombre. Je pense que j'avais la tête ailleurs la veille pour ne pas avoir noté cette chaleur étouffante. A part manger les mangues qui ne cessent de tomber de l'arbre et des figues de Barbarie délicieusement fraîches, impossible de faire quoi que ce soit dehors. Dommage je serai bien allé me balader. Je me contenterai de quelques photos et d'un tour dans le village. Des petits vieux jouent aux cartes sur une petite table installée à l'ombre, sur le trottoir. Il y a des vaches et des chevaux qui se promènent dans les rues du village. Et contre toute attente, c'est jour de match de base-ball dans le petit stade !

La remontée du canyon aura été sensiblement identique à la descente ; on penche juste dans l'autre sens. Et c'est finalement arrivé à la gare pour la dernière partie du voyage que j'ai rencontré mon premier compère de voyage, Bruno du Portugal. Malheureusement, il arrivait quand je partais et voyageait dans l'autre sens de toute façon. Mais on aura eu le temps de bien discuter quand même. La fin du trajet en train aura prolongé un peu l'escapade dans les canyons.

Et tout ce petit tour m'aura libéré de certaines de mes craintes, amplifiées par tous ceux qui me recommandent la plus grande prudence, d'éviter de sortir seul le soir, de ne pas trop sortir mon appareil photo dans la rue, etc. Maintenant il me faut arriver à faire abstraction de ces dizaines de paires d'yeux et de regards, pour le moins peu discrets, qui scrutent mes faits et gestes quand je suis à l'extérieur.



3 commentaires:

  1. Tu vas finir par t'y habituer et te demander plus tard pourquoi personne ne s'intéresse à toi !
    Bises de nous tous depuis Jerusalem

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  2. olalala , j'ai pas eu le temps de suivre ces derniers temps et te voilà déjà au mexique !! plus doucement Nico il te reste encore un an, laisse moi le temps de suivre ;-) !
    J'espère que les mexicains ne te poseront pas trop de soucis !
    Dans l'attente de ta prochaine étape !!!

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  3. Quel récit ! Là j'étais partie avec toi, loin, loin... Tu nous retraces bien l'ambiance, on y est ! Merci !
    Demain, dernier jour avant les vacances, on fera un dernier tour avec les 4ème sur ton site... puis repos bien mérité... J'espère que les élèves continueront d'aller te voir, moi c'est certain !!
    Bonne route !
    Florence

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